
Arrêt de la Cour (grande chambre) du 19 décembre 2019
Procédure pénale contre X
Demande de décision préjudicielle auprès du Juge d'instruction du tribunal de grande instance de Paris
Affaire C-390/18
AVIS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL SZPUNAR
livrée le 30 avril 2019 (1)
Affaire C-390/18
en présence de :
YA,
AIRBNB Ireland UC,
Hotelière Turenne SAS,
Association pour un hébergement et un tourisme professionnel (AHTOP),
Valhotel
(Demande de décision préjudicielle du juge d'instruction du tribunal de grande instance de Paris (France))
(Demande de décision préjudicielle - Libre prestation des services - Directive 2000/31/CE - Mise en relation des hôtes, entreprises ou particuliers, disposant d'un logement à louer avec les personnes recherchant ce type de logement - Prestation complémentaire de divers autres services - Législation nationale prévoyant des règles restrictives pour l'exercice de la profession d'agent immobilier)
I. Introduction
- Dans les arrêts Asociación Profesional Elite Taxi (2) et Uber France (3), la Cour a jugé qu'un service d'intermédiation ayant pour objet de mettre en relation des conducteurs non professionnels utilisant leur propre véhicule avec des personnes souhaitant effectuer des déplacements urbains, qui est intrinsèquement lié à un service de transport, ne constitue pas un service de la société de l'information et est exclu du champ d'application de la directive 2000/31/CE (4). (4)
- La présente affaire porte également sur le problème de la qualification des services fournis via des plateformes électroniques. La Cour est saisie par le juge d'instruction du Tribunal de grande instance de Paris (France) afin de déterminer si un service consistant à mettre en relation des hôtes disposant d'un logement à louer avec des personnes recherchant ce type de logement correspond à la définition des "services de la société de l'information" et bénéficie ainsi de la libre circulation des services, telle que garantie par la directive 2000/31.
II. Le cadre juridique
A. Le droit communautaire
- Les faits allégués se sont produits au cours de la période comprise entre le 11 avril 2012 et le 24 janvier 2017. À cet égard, il convient de noter que, avec effet au 7 octobre 2015, la directive (UE) 2015/1535 (5) a abrogé et remplacé la directive 98/34/CE. (6) L'article 2, point a), de la directive 2000/31 définit les "services de la société de l'information" par référence à l'article 1er, paragraphe 1, de la directive 2015/1535, qui dispose :
Aux fins de la présente directive, les définitions suivantes s'appliquent :
...
(b) "service" : tout service de la société de l'information, c'est-à-dire tout service presté normalement contre rémunération, à distance, par voie électronique et à la demande individuelle d'un destinataire de services.
Aux fins de la présente définition :
(i) "à distance" signifie que le service est fourni sans que les parties soient simultanément présentes ;
(ii) "par voie électronique" : le service est envoyé initialement et reçu à destination au moyen d'équipements électroniques de traitement (y compris la compression numérique) et de stockage de données, et entièrement transmis, acheminé et reçu par fil, par radio, par moyens optiques ou par d'autres moyens électromagnétiques ;
(iii) "à la demande individuelle d'un destinataire de services" signifie que le service est fourni par la transmission de données sur demande individuelle.
Une liste indicative des services non couverts par cette définition figure à l'annexe I ;
...'
- La définition de "service de la société de l'information" figurant à l'article 1er, point b), de la directive 2015/1535 est essentiellement identique à celle figurant à l'article 1er, paragraphe 2, de la directive 98/34. En outre, les références à la directive 98/34 s'entendent comme des références à la directive 2015/1535. (7) Pour ces raisons, l'analyse relative à la qualification d'un service en tant que "service de la société de l'information" au sens de la directive 2015/1535, à laquelle je me référerai donc dans le présent avis, est, à mon sens, susceptible d'être transférée aux dispositions de la directive 98/34.
- Selon les termes de l'article 2, point h), de la directive 2000/31 :
Aux fins de la présente directive, les termes suivants ont la signification suivante :
...
(h) "domaine coordonné" : les exigences prévues par les systèmes juridiques des États membres applicables aux prestataires de services de la société de l'information ou aux services de la société de l'information, qu'elles soient de nature générale ou qu'elles leur soient spécifiquement destinées.
(i) Le domaine coordonné concerne les exigences auxquelles le prestataire de services doit se conformer en ce qui concerne
- l'accès à l'activité d'un service de la société de l'information, comme les exigences en matière de qualifications, d'autorisation ou de notification,
- l'exercice de l'activité d'un service de la société de l'information, telles que les exigences relatives au comportement du prestataire, les exigences relatives à la qualité ou au contenu du service, y compris celles applicables à la publicité et aux contrats, ou les exigences relatives à la responsabilité du prestataire ;
(ii) Le champ coordonné ne couvre pas les exigences telles que :
- les exigences applicables aux marchandises en tant que telles,
- les exigences applicables à la livraison des marchandises,
- les exigences applicables aux services qui ne sont pas fournis par voie électronique".
- L'article 3 de cette directive est libellé comme suit :
'1. Chaque État membre veille à ce que les services de la société de l'information fournis par un prestataire établi sur son territoire soient conformes aux dispositions nationales applicables dans l'État membre en question qui relèvent du domaine coordonné.
- Les États membres ne peuvent pas, pour des raisons relevant du domaine coordonné, restreindre la libre prestation des services de la société de l'information à partir d'un autre État membre.
- Les paragraphes 1 et 2 ne s'appliquent pas aux champs visés à l'annexe.
- Les États membres peuvent prendre des mesures pour déroger au paragraphe 2 en ce qui concerne un service de la société de l'information donné si les conditions suivantes sont remplies :
(a) les mesures sont :
(i) nécessaire pour l'une des raisons suivantes :
- l'ordre public, notamment la prévention, la recherche, la détection et la poursuite des infractions pénales, y compris la protection des mineurs et la lutte contre toute incitation à la haine pour des raisons de race, de sexe, de religion ou de nationalité, et contre les atteintes à la dignité humaine des personnes,
- la protection de la santé publique,
- la sécurité publique, y compris la sauvegarde de la sécurité et de la défense nationales,
- la protection des consommateurs, y compris des investisseurs ;
(ii) prises à l'encontre d'un service donné de la société de l'information qui portent atteinte aux objectifs visés au point i) ou qui présentent un risque sérieux et grave d'atteinte à ces objectifs ;
(iii) proportionnés à ces objectifs ;
(b) avant de prendre les mesures en question et sans préjudice des procédures judiciaires, y compris les procédures préliminaires et les actes accomplis dans le cadre d'une enquête pénale, l'État membre a :
- a demandé à l'État membre visé au paragraphe 1 de prendre des mesures et que ce dernier n'a pas pris ces mesures ou qu'elles étaient inadéquates,
- a notifié à la Commission et à l'État membre visé au paragraphe 1 son intention de prendre de telles mesures.
- Les États membres peuvent, en cas d'urgence, déroger aux conditions prévues au paragraphe 4, point b). Dans ce cas, les mesures sont notifiées dans les plus brefs délais à la Commission et à l'État membre visé au paragraphe 1, en indiquant les raisons pour lesquelles l'État membre estime qu'il y a urgence.
- Sans préjudice de la possibilité pour l'État membre de procéder aux mesures en question, la Commission examine la compatibilité des mesures notifiées avec le droit communautaire dans les plus brefs délais ; lorsqu'elle parvient à la conclusion que la mesure est incompatible avec le droit communautaire, la Commission demande à l'État membre en question de s'abstenir de prendre toute mesure envisagée ou de mettre fin d'urgence aux mesures en question".
B. Le droit français
- L'article 1er de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d'exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce, dans sa version consolidée, ("loi Hoguet") (8) dispose :
Les dispositions de la présente loi s'appliquent aux personnes physiques ou morales qui se livrent ou prêtent habituellement leur concours, même à titre accessoire, à des opérations portant sur le patrimoine d'autrui et relatives :
- L'achat, la vente, la recherche, l'échange, la location ou la sous-location, saisonnière ou non, meublée ou non, de biens immobiliers existants ou en cours de construction ;
...'
- L'article 3 de la loi Hoguet prévoit :
Les activités visées à l'article 1er ne peuvent être exercées que par des personnes physiques ou morales titulaires d'une carte professionnelle délivrée, pour une durée et selon des modalités déterminées par décret en Conseil d'État, par le président de la chambre de commerce et d'industrie de région ou par le président de la chambre de commerce et d'industrie départementale d'Île-de-France, précisant les opérations qu'elles peuvent effectuer.
Cette licence ne peut être délivrée qu'aux personnes physiques qui remplissent les conditions suivantes :
1 ils apportent la preuve de leur capacité professionnelle ;
2 ils apportent la preuve d'une garantie financière permettant le remboursement des fonds ... ;
3 ils s'assurent contre les conséquences financières de leur responsabilité civile professionnelle ;
4 ils ne sont pas déchus ni interdits d'exercer ...".
- En outre, l'article 5 de cette loi stipule que
Les personnes visées à l'article 1er qui reçoivent ou détiennent des sommes d'argent ... doivent respecter les conditions fixées par décret en Conseil d'État, notamment les formalités de tenue des registres et de délivrance des reçus ainsi que les autres obligations découlant du mandat.
- Un décret impose donc la tenue de registres spéciaux, de dossiers et de comptes détaillés, dans le but de préserver les intérêts des personnes qui confient des fonds à des intermédiaires.
- Enfin, l'article 14 de la loi Hoguet prévoit que le défaut de carte professionnelle est puni de 6 mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende. En outre, l'article 16 de cette même loi prévoit qu'une peine d'emprisonnement de 2 ans et une amende de 30 000 euros peuvent être prononcées à l'encontre d'une personne qui manipule des sommes d'argent en violation de l'obligation de détenir une carte professionnelle (article 3) ou de l'obligation de tenir des registres spéciaux, des écritures et une comptabilité détaillée (article 5).
III. Les faits de l'affaire au principal
- AIRBNB Inc, société établie aux États-Unis, est la société mère du groupe AIRBNB.
- AIRBNB Ireland UC, société de droit irlandais établie à Dublin (Irlande), fait partie du groupe AIRBNB et est détenue à 100 % par AIRBNB Inc. AIRBNB Ireland administre, pour tous les utilisateurs établis en dehors des Etats-Unis, une plateforme en ligne destinée à mettre en relation, d'une part, des hôtes (professionnels et particuliers) disposant d'un logement disponible à la location et, d'autre part, des personnes à la recherche de ce type de logement.
- A la suite d'une plainte contre inconnu, assortie d'une demande de constitution de partie civile, déposée notamment par l'Association pour un hébergement et un tourisme professionnel (AHTOP), le Parquet de Paris (France) a délivré le 16 mars 2017 un réquisitoire introductif pour recel de fonds, pour activités d'entremise et de gestion de biens immobiliers et d'activités commerciales par une personne non titulaire d'une carte professionnelle, conformément à la loi Hoguet, et pour d'autres infractions, qui auraient été commises entre le 11 avril 2012 et le 24 janvier 2017, et a changé le statut d'AIRBNB Ireland en "témoin assisté" (une personne qui n'est pas simplement un témoin, mais aussi, dans une certaine mesure, un suspect).
- AIRBNB Irlande nie agir en tant qu'agent immobilier et prétend que la loi Hoguet est inapplicable en raison de son incompatibilité avec la directive 2000/31.
IV. Les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour
- C'est dans ces circonstances que le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Paris (France), par décision du 6 juin 2018, reçue à la Cour le 13 juin 2018, a décidé de surseoir à statuer et de saisir la Cour des questions suivantes :
1) Les services fournis en France par la société AIRBNB Ireland via une plate-forme électronique gérée depuis l'Irlande bénéficient-ils de la libre prestation de services prévue à l'article 3 de la [directive 2000/31] ?
(2) Les règles restrictives relatives à l'exercice de la profession d'agent immobilier en France, édictées par [la loi Hoguet], sont-elles opposables à la société AIRBNB Ireland ?
- Des observations écrites ont été déposées par AIRBNB Ireland, AHTOP, les gouvernements français, tchèque, espagnol et luxembourgeois et la Commission européenne. Ces parties, à l'exception des gouvernements tchèque et luxembourgeois, étaient représentées à l'audience qui s'est tenue le 14 janvier 2019.
V. L'analyse
A. La première question
- Par sa première question, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si les services fournis par AIRBNB Ireland doivent être considérés comme relevant de la qualification de "services de la société de l'information" au sens de l'article 1er, paragraphe 1, sous a), de la directive 2015/1535, à laquelle renvoie l'article 2, sous a), de la directive 2000/31, et comme bénéficiant, par conséquent, de la libre circulation assurée par cette directive.
- En vertu de l'article 3, paragraphe 1, de la directive 2000/31, chaque État membre veille à ce que les services de la société de l'information fournis par un prestataire établi sur son territoire respectent les dispositions nationales applicables dans l'État membre en question qui relèvent du domaine coordonné. En revanche, selon l'article 3, paragraphe 2, de cette directive, les États membres autres que celui sur le territoire duquel le prestataire est établi ne peuvent pas, en principe, pour des raisons relevant du domaine coordonné, restreindre la libre circulation de ces services. Ce sont donc les services de la société de l'information qui bénéficient de la libre prestation de services visée à la première question.
- À cet égard, la juridiction de renvoi se borne à constater que la directive 2000/31 s'oppose à l'application de règles nationales restrictives telles que la loi Hoguet en matière de commerce électronique et qu'il convient donc de déterminer si les activités d'AIRBNB Ireland relèvent du champ d'application de cette directive.
- Sur ce point, les parties avancent des positions diamétralement opposées et soumettent des considérations relatives à la question de savoir si et, le cas échéant, sous quelles réserves, les activités d'AIRBNB Ireland sont comparables à celles d'Uber, qui a fait l'objet des arrêts Asociación Profesional Elite Taxi (9) et Uber France. (10)
- En substance, AIRBNB Ireland, les gouvernements tchèque et luxembourgeois et la Commission sont d'avis qu'un service tel que celui fourni par AIRBNB Ireland - en ce qu'il permet aux prestataires de services et aux clients potentiels d'être connectés - satisfait aux critères énoncés dans la définition de "service de la société de l'information" au sens de la directive 2000/31.
- L'AHTOP et les gouvernements français et espagnol estiment en revanche que, conformément au raisonnement suivi par la Cour dans l'arrêt Asociación Profesional Elite Taxi (11), un service d'intermédiation, tel que celui fourni par AIRBNB Ireland, combiné aux autres services offerts par AIRBNB Ireland, constitue un service global dont l'élément principal est un service lié à un bien immobilier.
- Afin de répondre à la première question, je formulerai tout d'abord quelques observations générales sur les activités d'AIRBNB Ireland et sur le fonctionnement de sa plate-forme électronique (points 25 à 33 du présent avis). Ensuite, je répondrai à la question de savoir si, compte tenu de ces observations, les activités d'AIRBNB Ireland relèvent de la notion de "services de la société de l'information". Pour ce faire, je mentionnerai les conditions législatives dans lesquelles un service peut être considéré comme relevant de la notion de "service de la société de l'information" et j'illustrerai les problèmes spécifiques posés par les plates-formes électroniques quant à leur qualification au regard de la directive 2000/31 (points 35 à 44 du présent avis). Après avoir détaillé la solution dégagée par la jurisprudence pour surmonter ces problèmes (points 45 à 53 du présent avis), j'examinerai si et, le cas échéant, à quelles conditions, cette solution peut être transposée aux circonstances de l'affaire au principal (points 55 à 78 du présent avis). Enfin, sur la base de ces considérations, j'analyserai l'impact des autres services offerts par AIRBNB Ireland sur la qualification de son service d'intermédiation (points 80 à 85 du présent avis).
- Activités de AIRBNB Ireland
- Ainsi qu'il ressort des faits de l'affaire au principal et des explications fournies par certaines parties, ainsi que des conditions de service pour les utilisateurs de l'Union européenne de la plateforme concernée (12), AIRBNB Ireland gère une plateforme électronique qui permet aux hôtes disposant d'un logement à louer d'être mis en relation avec des personnes à la recherche de ce type de logement.
- AIRBNB Irlande centralise les annonces sur sa plateforme, de sorte qu'une recherche de logement à louer peut être effectuée selon plusieurs critères, indépendamment de la localisation de l'hôte potentiel. Les résultats d'une recherche effectuée notamment en fonction de la destination et de la période de séjour sont affichés sous la forme d'une liste de logements accompagnée de photographies et d'informations générales, y compris les prix. L'utilisateur de la plateforme peut alors obtenir des informations plus détaillées sur chaque logement et, sur la base de ces informations, faire son choix.
- Il incombe à l'hôte de fixer les tarifs, le calendrier des disponibilités et les critères de réservation, ainsi que d'établir un règlement intérieur que les hôtes doivent accepter. En outre, l'hôte doit choisir l'une des options prédéfinies par AIRBNB Irlande en ce qui concerne les conditions d'annulation de la location de son logement.
- Les services fournis par AIRBNB Irlande ne se limitent pas à la mise à disposition d'une plateforme permettant la mise en relation d'hôtes et d'invités.
- Tout d'abord, AIRBNB Irlande a mis en place un système permettant aux hôtes et aux clients de s'évaluer mutuellement, en attribuant une note allant de zéro à cinq étoiles. Les notes, ainsi que les éventuels commentaires, sont disponibles sur la plateforme pour les hôtes et les clients.
- Ensuite, dans certains cas, notamment lorsqu'un hôte reçoit des évaluations médiocres ou des commentaires négatifs ou annule des réservations confirmées, AIRBNB Irlande peut suspendre temporairement l'annonce, annuler une réservation ou même interdire l'accès au site.
- Enfin, AIRBNB Irlande propose également à l'hôte (i) un cadre définissant les termes de son offre ; (ii) un service de photographie ; (iii) une assurance responsabilité civile ; (iv) une garantie dommages pouvant aller jusqu'à 800 000 euros ; et (v) un outil d'estimation du prix de sa location par référence aux prix moyens du marché relevés sur la plateforme.
- Au sein du groupe AIRBNB, AIRBNB Payments UK Ltd, une société régie par les lois de l'Angleterre et du Pays de Galles et établie à Londres, fournit des services de paiement en ligne aux utilisateurs de la plateforme électronique d'AIRBNB Ireland et gère les activités de paiement du groupe au sein de l'Union européenne. Ainsi, lorsque l'hôte accepte un invité, ce dernier effectue un paiement à AIRBNB Payments UK, dont le montant correspond au prix de la location majoré de 6 à 12% pour les charges et le service fournis par AIRBNB Ireland. AIRBNB Payments UK conserve les fonds au nom de l'hôte, puis, 24 heures après l'entrée de l'hôte dans les lieux, les transfère à l'hôte par virement bancaire, offrant ainsi à l'hôte une garantie d'existence de la propriété et à l'hôte une garantie de paiement.
- Ainsi, les internautes français concluent un contrat avec AIRBNB Ireland pour l'utilisation du site (placement d'une annonce, réservations), d'une part, et avec AIRBNB Payments UK pour les paiements effectués par l'intermédiaire de ce site, d'autre part.
- Cela étant, il convient de revenir sur la question de savoir si le service fourni par AIRBNB Ireland peut être considéré comme un service de la société de l'information.
- Activités d'AIRBNB Ireland par référence à la définition de la directive 2000/31
- Un service de la société de l'information est défini par la directive 2015/1535 comme un service fourni contre rémunération, à distance, par voie électronique et à la demande individuelle d'un destinataire de services.
- À cet égard, il est vrai que, prima facie et pris isolément, le service permettant aux utilisateurs d'une plate-forme électronique d'être connectés correspond à la définition d'un service de la société de l'information. Telle est d'ailleurs la conclusion à laquelle la Cour est parvenue dans l'arrêt L'Oréal e.a.. (13) Il résulte de cet arrêt que l'exploitation d'une place de marché en ligne, c'est-à-dire un service Internet consistant à faciliter les relations entre vendeurs et acheteurs de biens, peut, en principe, constituer un "service de la société de l'information" au sens de la directive 2000/31.
- Toutefois, comme je l'ai observé dans mon avis sur les plateformes électroniques dans l'affaire Asociación Profesional Elite Taxi (14), si la question de savoir si un service est rémunéré et fourni sur demande individuelle ne semble pas poser de problème, il n'en va pas de même de la question de savoir si un service est fourni à distance par des moyens électroniques. En fait, la ligne de démarcation entre la composante des services qui est fournie par voie électronique et celle qui ne l'est pas est parfois floue.
- Plus précisément, en ce qui concerne la question de savoir si le service fourni par AIRBNB Ireland est normalement rémunéré, il ressort de la décision de renvoi que le montant du loyer payé par l'hôte inclut les charges et la rémunération du service fourni par AIRBNB Ireland. Il y a donc lieu de constater qu'il existe deux catégories de destinataires en ce qui concerne les services fournis par AIRBNB Ireland : les hôtes et les invités, ces catégories n'étant pas distinctes. Toutefois, ainsi qu'il ressort de l'arrêt Papasavvas (15), la rémunération d'un service fourni par un prestataire de services dans le cadre de son activité économique n'est pas nécessairement payée par les personnes qui bénéficient de ce service. A fortiori, en ce qui concerne les services consistant à mettre en relation leurs destinataires, qui se divisent en deux catégories, il suffit que l'une de ces catégories verse la rémunération au prestataire d'un service de la société de l'information.
- En ce qui concerne la condition relative à la fourniture d'un service à la demande individuelle de son destinataire, il convient de relever que, dans l'arrêt Google France et Google (16), la Cour a jugé qu'un service de référencement payant, utilisé dans le cadre d'un moteur de recherche sur Internet, par lequel un opérateur économique peut faire apparaître un lien publicitaire vers son site aux utilisateurs de ce moteur de recherche, remplit la condition relative à la demande individuelle de cet opérateur économique. En ce qui concerne les services d'AIRBNB Ireland, un hôte doit s'adresser à la plateforme gérée par cette société pour que son logement apparaisse sur cette plateforme. En outre, c'est à l'aide de la plateforme d'AIRBNB Ireland qu'un hôte doit effectuer une recherche afin de pouvoir louer un logement publié sur cette plateforme.
- En revanche, la réponse à la question de savoir si le service fourni par AIRBNB Ireland satisfait aux troisième et quatrième conditions, énoncées au point 35 du présent avis, c'est-à-dire si ce service est fourni à distance et par voie électronique, dépend largement, comme l'illustre la discussion entre les parties, du point de vue adopté lors de la détermination de l'étendue du service en question.
- Pour illustrer mon propos, AIRBNB Ireland ne rencontre pas physiquement les destinataires de ses services : ni les hôtes, ni les invités. Comme il ressort des observations préliminaires concernant les activités d'AIRBNB Ireland, l'hôte n'est pas tenu de s'adresser en personne à AIRBNB Ireland pour publier son logement sur la plateforme. En outre, un utilisateur de la plateforme gérée par AIRBNB Ireland peut louer un logement à distance, sans devoir être physiquement en contact avec ce prestataire de services. Toutefois, il est clair que la mise en relation des utilisateurs de la plateforme gérée par AIRBNB Ireland aboutit à l'utilisation d'un logement, qui peut être considéré comme un élément non électronique du service fourni par cette société.
- Dans ces conditions, le service fourni par AIRBNB Ireland peut-il être considéré comme un service fourni à distance, en ce sens que, comme l'exige l'article 1er, paragraphe 1, sous b), i), de la directive 2015/1535, ce service est fourni sans que les parties soient simultanément présentes ?
- De même, le service consistant en la mise en relation d'hôtes et d'invités et ayant pour résultat l'utilisation d'un logement peut-il être considéré comme étant entièrement fourni par l'utilisation d'équipements électroniques, comme l'exige l'article 1er, paragraphe 1, sous b), ii), de la directive 2015/1535, et comme n'ayant aucun rapport avec les services visés dans la liste indicative figurant à l'annexe I de cette directive, c'est-à-dire avec les services ayant un contenu matériel alors même qu'ils sont fournis par voie électronique ?
- Pour répondre à ces deux questions, je me tournerai vers la jurisprudence de la Cour, qui a déjà été invitée à se prononcer sur la classification des services mixtes, c'est-à-dire des services composés d'un élément fourni par voie électronique et d'un autre qui n'est pas fourni par voie électronique. (17)
- Les services mixtes à la lumière de la directive 2000/31
- Dans l'arrêt Ker-Optika (18), la Cour a examiné si le fait que la vente ou la fourniture de lentilles de contact puisse être soumise à l'exigence d'un conseil médical préalable, impliquant un examen physique du patient, est susceptible d'empêcher que la vente de lentilles par Internet soit qualifiée de "service de la société de l'information" au sens de la directive 2000/31. À cet égard, la Cour estime qu'un tel conseil médical n'est pas indissociable de la vente de lentilles de contact, au motif qu'il peut être effectué indépendamment de l'acte de vente.
- J'en déduis que les services qui ne sont pas indissociablement liés au service fourni par voie électronique, en ce sens que le premier peut être fourni indépendamment du second, ne sont pas susceptibles d'affecter la nature de ce service. Le service fourni par voie électronique ne perd pas son intérêt économique et reste indépendant des services ayant un contenu matériel.
- En revanche, la classification d'un service fourni par voie électronique nécessite un examen approfondi lorsque ce service forme un tout indissociable avec un service ayant un contenu matériel. (19)
- Dans ce sens, la Cour a jugé, dans l'arrêt Asociación Profesional Elite Taxi (20), qu'un service d'intermédiation consistant à mettre en relation un chauffeur non professionnel utilisant son propre véhicule avec une personne souhaitant effectuer un déplacement urbain peut, pris isolément et a priori, être qualifié de " service de la société de l'information ". (21) Toutefois, après avoir pris en compte l'ensemble des caractéristiques des activités d'Uber, la Cour a jugé que son service d'intermédiation doit être considéré comme indissociablement lié à un service de transport et donc exclu du champ d'application de la directive 2000/31.
- À cet égard, la Cour a précisé, tout d'abord, qu'un service tel que celui fourni par Uber était plus qu'un service d'intermédiation consistant à mettre en relation, au moyen d'une application pour smartphone, un chauffeur non professionnel utilisant son propre véhicule avec une personne souhaitant effectuer un déplacement urbain. Le prestataire de "ce service d'intermédiation offre simultanément des services de transport urbain, qu'il rend accessibles, notamment, au moyen d'outils logiciels [...] et dont il organise le fonctionnement général au profit des personnes qui souhaitent accepter cette offre afin d'effectuer un déplacement urbain" (22).
- La Cour a ensuite apporté des précisions permettant d'apprécier si ces deux critères étaient remplis.
- Plus précisément, la Cour a indiqué que, sans l'application fournie par Uber, (i) les chauffeurs ne seraient pas amenés à fournir des services de transport et (ii) les personnes souhaitant effectuer un trajet urbain n'utiliseraient pas les services fournis par ces chauffeurs. (23) Cette précision renvoie, à mon sens, au critère relatif au fait qu'Uber offre des services ayant un contenu matériel.
- En outre, la Cour a précisé qu'Uber exerçait une influence déterminante sur les conditions dans lesquelles ce service était fourni par les chauffeurs en déterminant, par son application, au moins le tarif maximal pour le trajet et en exerçant un certain contrôle sur la qualité des véhicules et de leurs chauffeurs. (24) À mon sens, cette précision visait à déterminer qu'Uber organisait le fonctionnement général des services qui n'étaient pas fournis par voie électronique.
- Ainsi, dans les arrêts Asociación Profesional Elite Taxi (25) et Uber France (26), la Cour a établi deux critères à appliquer pour déterminer si un service fourni par voie électronique qui, pris isolément, répond à première vue à la définition d'un "service de la société de l'information" est séparable d'autres services ayant un contenu matériel, à savoir les critères relatifs au fait que le prestataire offre des services ayant un contenu matériel et au fait que le prestataire exerce une influence déterminante sur les conditions dans lesquelles ces services sont fournis.
- Il convient donc de déterminer si ces deux critères sont remplis dans les circonstances de l'affaire au principal.
- Le critère relatif à l'offre de services
(a) Application en l'espèce
- AIRBNB Ireland a-t-elle, dans le cadre de ses activités, créé une offre au sens des arrêts Asociación Profesional Elite Taxi (27) et Uber France ? (28)
- À mon avis, il faut répondre à cette question par la négative, pour les raisons suivantes.
- L'offre d'Uber, qui était un phénomène nouveau, du moins dans le cas du service UberPop, reposait sur des chauffeurs non professionnels, et c'est pour cette raison que la Cour a considéré que, sans l'application fournie par Uber, ce service de transport à la demande, fourni par des chauffeurs non professionnels, ne pouvait pas être fourni. Certes, un chauffeur non professionnel aurait pu lui-même tenter de fournir un service de transport à la demande, mais sans l'application d'Uber, ce chauffeur n'aurait pas pu garantir une adéquation entre son offre et la demande.
- Contrairement à la plateforme d'Uber, celle d'AIRBNB Ireland est ouverte aux hôtes professionnels et aux hôtes non professionnels. Le marché de l'hébergement de courte durée, qu'il soit professionnel ou non, existait bien avant le début de l'activité du service d'AIRBNB Ireland. Comme l'observe le gouvernement luxembourgeois, les hôtes professionnels et non professionnels peuvent proposer leurs biens via des canaux plus traditionnels. Il n'est pas rare non plus qu'un hôte crée un site Internet consacré uniquement à son hébergement et qui peut être trouvé à l'aide de moteurs de recherche.
- Ainsi, les services d'hébergement ne sont pas indissociablement liés au service fourni par AIRBNB Ireland par voie électronique, en ce sens qu'ils peuvent être fournis indépendamment de ce service. Ces services conservent leur intérêt économique et restent indépendants du service électronique d'AIRBNB Ireland.
- Le critère relatif à la création d'une offre de services au sens de l'arrêt Asociación Profesional Elite Taxi (29) n'étant pas rempli en l'espèce, se pose la question de l'articulation entre ce critère et celui relatif à l'exercice d'un contrôle sur la prestation de ces services. Cette question ne se posait pas en ce qui concerne l'activité d'Uber, puisque ces deux critères étaient remplis dans cette affaire. (30)
(b) la relation entre la création d'une offre de services et l'exercice d'un contrôle sur ces services
- Les nouvelles technologies telles que l'internet permettent de répondre, à une échelle inconnue jusqu'à présent, à toute demande par une offre appropriée. De même, chaque offre est capable de trouver une demande. Cela est possible notamment grâce aux innovations introduites par les opérateurs économiques désireux d'accroître leur compétitivité. Ces innovations intensifient ainsi les échanges économiques et jouent un rôle important dans le développement d'un marché sans frontières. Elles peuvent également conduire à la création d'une offre - voire d'une demande - qui n'existait pas auparavant.
- Cela s'inscrit dans la logique du marché intérieur qui, comme le rappelle le législateur européen dans le considérant 3 de la directive 98/48, permet aux prestataires de ces services de développer leurs activités transfrontalières et aux consommateurs d'avoir de nouvelles formes d'accès aux biens et aux services.
- Dans ces conditions, il serait contraire à la logique du marché intérieur et à la libéralisation des services de la société de l'information, qui est l'objectif de la directive 2000/31 (31), que, du seul fait de la création d'une nouvelle offre, les innovations des opérateurs économiques qui permettent aux consommateurs d'avoir de nouvelles formes d'accès aux biens ou aux services conduisent à exclure ces opérateurs économiques du champ d'application de la directive 2000/31.
- Toutefois, une innovation qui conduit à la fourniture de services à contenu matériel par un opérateur économique ou sous son contrôle ne peut garantir l'applicabilité de la directive 2000/31 car, en fournissant un service de la société de l'information, cet opérateur économique serait en concurrence avec d'autres acteurs du marché qui ne bénéficient pas de cette libéralisation.
- Pour ces raisons, le critère relatif à la création d'une prestation de services ne constitue, à mon sens, qu'une indication selon laquelle un service fourni par voie électronique forme un tout indissociable avec un service ayant un contenu matériel. Il ne suffit pas qu'un prestataire crée une nouvelle prestation de services qui ne sont pas fournis par voie électronique au sens que je viens d'expliquer aux points 49 à 51 du présent avis : la création de ces services doit être suivie du maintien, sous le contrôle de ce prestataire, des conditions dans lesquelles ils sont fournis.
- À cet égard, il convient de noter qu'un prestataire de services fournis par voie électronique peut organiser son activité de manière à lui permettre d'exercer un contrôle sur la fourniture des services à contenu matériel, même si ces services font partie de l'offre préexistante. Doit-on alors considérer, dans ces conditions, que ce prestataire fournit un service de la société de l'information et bénéficie ainsi de la libéralisation visée par la directive 2000/31 ? Pour les raisons que je viens d'exposer au point 64 du présent avis, cette question appelle, selon moi, une réponse négative.
- Il résulte de ce qui précède que le critère relatif à la création d'une offre de services qui ne sont pas fournis par voie électronique n'est pas déterminant en ce qui concerne la question de savoir si ces services forment un tout indissociable avec un service fourni par voie électronique. C'est l'influence déterminante exercée par le prestataire sur les conditions de la fourniture des services ayant un contenu matériel qui est susceptible de rendre ces services indissociables du service que ce prestataire fournit par voie électronique.
- Pour ces raisons, et en suivant le raisonnement de la Cour concernant l'activité d'Uber, il convient à présent de déterminer si AIRBNB Ireland exerce un contrôle sur les conditions régissant la fourniture des services d'hébergement de courte durée.
- Le contrôle exercé sur les conditions de la prestation de services
- Pour rappel, dans les arrêts Asociación Profesional Elite Taxi (32) et Uber France (33), la Cour a considéré qu'Uber exerçait une influence déterminante sur les conditions dans lesquelles le transport était effectué, notamment en déterminant le prix maximum de la course, en percevant ce prix auprès du client avant d'en reverser une partie au conducteur non professionnel du véhicule et en exerçant un certain contrôle sur la qualité des véhicules et de leurs conducteurs ainsi que sur le comportement de ces derniers, ce qui pouvait, dans certaines circonstances, conduire à leur exclusion. (34) La lecture de ces arrêts montre clairement que cette liste a un caractère indicatif.
- Pour cette raison, je considère qu'il convient de souligner que, dans mes avis dans ces affaires, j'avais attiré l'attention de la Cour sur le fait qu'Uber exerçait un contrôle sur d'autres aspects pertinents d'un service de transport urbain, à savoir sur les conditions minimales de sécurité, au moyen d'exigences préalables concernant les conducteurs et les véhicules, et sur l'accessibilité de l'offre de transport, en encourageant les conducteurs à travailler lorsque et là où la demande est élevée. (35)
- Ces circonstances, prises dans leur ensemble, m'avaient amené à conclure qu'Uber exerçait un contrôle sur les aspects économiquement significatifs du service de transport offert par l'intermédiaire de sa plateforme. En ce qui concerne les services de transport urbain à la demande, le prix, la disponibilité immédiate des moyens de transport, assurée par l'importance de l'offre, la qualité minimale acceptable pour les passagers de ces moyens de transport, ainsi que la sécurité de ces passagers, constituent les facteurs les plus significatifs pour les destinataires de ces services. À l'inverse, en l'espèce, je ne considère pas qu'AIRBNB Ireland exerce un contrôle sur tous les aspects économiquement significatifs du service d'hébergement de courte durée, tels que l'emplacement et les normes des logements, qui sont d'une importance majeure dans le cas d'un tel service. En revanche, le prix ne semble pas jouer un rôle aussi important dans le contexte des services d'hébergement que dans celui des services de transport urbain à la demande. En tout état de cause, comme le révèle mon analyse, AIRBNB Ireland ne contrôle pas le prix des services d'hébergement.
- Certes, il est vrai que, comme l'a notamment observé le gouvernement espagnol lors de l'audience, le service électronique d'AIRBNB Ireland a un impact sur le marché de l'hébergement à court terme et, en réalité, sur le marché de l'hébergement en général. Cela étant, AIRBNB Ireland ne semble agir ni comme un pouvoir régulant les aspects économiques de ce marché ni comme un prestataire exerçant un contrôle déterminant sur les conditions dans lesquelles les services d'hébergement sont fournis. Toutes les implications sociales et économiques du fonctionnement de sa plateforme sont le résultat des actions des utilisateurs de cette plateforme et de la logique de l'offre et de la demande.
- À cet égard, je considère que, si AIRBNB Ireland fournit une assistance facultative pour déterminer le prix, elle ne fixe pas ce prix, qui est déterminé par un hôte. En outre, contrairement à la situation dans Uber (36), les hôtes utilisant la plateforme d'AIRBNB Ireland ne sont pas découragés de fixer eux-mêmes le prix, le seul facteur qui pourrait les en dissuader étant la logique de l'offre et de la demande.
- Ensuite, en ce qui concerne les procédures de mise à disposition des services d'hébergement, il convient de noter que ce sont les hôtes qui déterminent les conditions de location. Certes, AIRBNB Irlande prédéfinit les options des conditions d'annulation. Cependant, c'est toujours l'hôte qui choisit délibérément l'une des options proposées et, par conséquent, la décision finale sur les conditions d'annulation relève de l'hôte.
- En outre, il apparaît que, sur la base des informations disponibles à partir des notations et des commentaires des utilisateurs, AIRBNB Ireland peut, dans certains cas, suspendre temporairement une annonce, annuler une réservation, voire interdire l'accès à sa plateforme. À cet égard, l'administrateur d'une plateforme électronique peut s'attribuer un pouvoir de contrôle administratif, notamment afin d'assurer le respect des conditions des contrats qu'il conclut avec les utilisateurs de cette plateforme. En outre, ces conditions contractuelles peuvent imposer des obligations aux utilisateurs afin que les normes de fonctionnement d'une plate-forme électronique soient respectées. En ce qui concerne la classification des services de la société de l'information, se pose toutefois la question de l'intensité de ce pouvoir, qui se traduit par l'influence sur la prestation des services fournis par les utilisateurs de cette plate-forme.
- Il convient de relever, à cet égard, qu'Uber exerçait un contrôle sur la qualité des véhicules et de leurs chauffeurs ainsi que sur le comportement de ces derniers par référence aux normes qu'elle avait elle-même déterminées. En revanche, ainsi qu'il ressort des points 27 et 29 des présentes conclusions, le contrôle exercé par AIRBNB Ireland porte sur le respect par les utilisateurs de normes définies ou, à tout le moins, choisies par ces derniers. En tout état de cause, en ce qui concerne l'activité d'Uber, l'exercice du pouvoir de contrôle administratif n'était que l'un des éléments permettant d'affirmer que ce prestataire exerçait une influence déterminante sur les conditions dans lesquelles les services de transport étaient fournis.
- Enfin, en ce qui concerne le fait, soulevé par l'AHTOP, que, à l'instar d'Uber, AIRBNB Ireland perçoit le montant correspondant au prix de la location et le transfère ensuite à l'hôte, il convient à nouveau de relever que, dans le cas de l'activité d'Uber, le fait que le prestataire de services perçoive le prix était l'un des éléments pris en compte aux fins de décider que son service ne relevait pas de la notion de "service de la société de l'information". Il convient de relever que cet élément du service fourni par AIRBNB Ireland, fourni par AIRBNB Payments UK, est typique de la grande majorité des services de la société de l'information, y compris pour les plateformes permettant de réserver un hôtel ou d'acheter des billets d'avion. (37) Le simple fait qu'un service fourni par voie électronique comporte des facilités de paiement pour les services qui ne sont pas fournis par voie électronique ne permet pas de conclure que tous ces services sont indissociables.
- Pour toutes les raisons qui précèdent, je considère qu'il ne peut être conclu que le service électronique d'AIRBNB Ireland satisfait au critère relatif à l'exercice d'un contrôle sur les services ayant un contenu matériel, à savoir les services d'hébergement de courte durée.
- Il convient maintenant d'examiner un dernier point, à savoir l'argument de l'AHTOP selon lequel, AIRBNB Ireland offrant d'autres services à ses utilisateurs, la qualification de service de la société de l'information ne peut être appliquée en l'espèce.
- Les autres services proposés par AIRBNB Irlande
- Il semble qu'AIRBNB Irlande propose également d'autres services, à savoir un service de photographie, une assurance responsabilité civile et une garantie contre les dommages.
- Il convient de rappeler que, dans l'arrêt Ker-Optika (38), la Cour a conclu que les services qui ne sont pas indissociablement liés au service fourni par voie électronique, en ce sens que le premier peut être fourni indépendamment du second, ne sont pas susceptibles d'affecter la nature de ce service. Le service fourni par voie électronique ne perd pas son intérêt économique et reste indépendant des services ayant un contenu matériel.
- Si cette conclusion est transposée à la présente affaire, il convient de relever que les autres services offerts par AIRBNB Ireland sont facultatifs et, par conséquent, présentent un caractère accessoire par rapport au service fourni par voie électronique. Ces services sont donc séparables du service fourni par voie électronique. En effet, un hôte peut, au préalable et par ses propres moyens, obtenir des photographies, des assurances ou des garanties de la part de tiers.
- Certes, ces autres services offerts par AIRBNB Ireland sont fournis par AIRBNB Ireland elle-même, alors que l'analyse de la Cour dans l'arrêt Ker-Optika (39) concernait non pas les conseils donnés et les contrôles effectués par le vendeur de lentilles de contact, mais ceux donnés et effectués par les ophtalmologues.
- Toutefois, je doute que la réponse donnée par la Cour dans cet arrêt aurait été différente si de tels services avaient été fournis par le prestataire du service fourni par voie électronique. Il me semble logique que, pour rendre leur offre plus compétitive, les prestataires élargissent la gamme des services qu'ils fournissent, notamment en offrant des services qui ne sont pas fournis par voie électronique. Pour autant que ces services soient séparables du service de la société de l'information, les premiers ne modifient pas la nature du second. Une interprétation a contrario pourrait conduire les prestataires de services de la société de l'information à limiter l'attractivité de leur offre ou à externaliser, même de manière artificielle, les services ayant un contenu matériel.
- En résumé, le fait que le prestataire d'un service de la société de l'information offre aux destinataires de ce service d'autres services ayant un contenu matériel n'empêche pas ce service d'être qualifié de "service de la société de l'information", à condition que ces autres services ne soient pas indissociables du service fourni par voie électronique, en ce sens que ce dernier service ne perd pas son intérêt économique et reste indépendant des services ayant un contenu matériel.
- Conclusions relatives à la première question
- Suite à l'analyse que je viens d'effectuer, je considère que les services à contenu matériel, qui ne sont pas indissociablement liés au service fourni par voie électronique, ne sont pas susceptibles d'affecter la nature de ce service. Le service fourni par voie électronique ne perd pas son intérêt économique et reste indépendant des services à contenu matériel.
- Les deux critères dégagés à cet égard par la Cour dans sa jurisprudence, à savoir le critère relatif à la création d'une offre de services et le critère relatif à l'exercice d'un contrôle sur les conditions dans lesquelles ces services sont fournis, permettent de répondre à la question de savoir si un service fourni par voie électronique qui, pris isolément, répond à première vue à la définition de "service de la société de l'information", est ou non séparable d'autres services ayant un contenu matériel.
- Toutefois, le critère relatif à la création d'une prestation ne fait qu'indiquer si un service fourni par voie électronique forme un tout indissociable avec un service ayant un contenu matériel. Il ne suffit pas qu'un prestataire ait créé une nouvelle prestation de services qui ne sont pas fournis par voie électronique au sens expliqué ci-dessus. La création d'une telle offre doit être suivie par le maintien du contrôle, par ce prestataire, des conditions dans lesquelles ces services sont fournis.
- À la lumière de ces considérations, je propose donc de répondre à la première question que l'article 2, sous a), de la directive 2000/31, lu en combinaison avec l'article 1er, paragraphe 1, sous b), de la directive 2015/1535, doit être interprété en ce sens qu'un service consistant à mettre en relation, par l'intermédiaire d'une plateforme électronique, des hôtes potentiels avec des hôtes proposant un hébergement de courte durée, dans une situation où le prestataire de ce service n'exerce pas de contrôle sur les procédures essentielles de la fourniture de ces services, constitue un service de la société de l'information au sens de ces dispositions. Le fait que ce prestataire offre également d'autres services ayant un contenu matériel n'empêche pas de qualifier le service fourni par voie électronique de service de la société de l'information, pour autant que ce dernier service ne forme pas un tout indissociable avec ces services.
- Il convient de noter que les conditions de location des logements, c'est-à-dire les services fournis par les hôtes, n'entrent pas dans le champ d'application de la directive 2000/31 et doivent être appréciées à la lumière d'autres dispositions du droit communautaire. (40)
- Étant donné que la première question appelle une réponse affirmative et que, par conséquent, le service fourni par AIRBNB Ireland doit être considéré comme un "service de la société de l'information" au sens de la directive 2000/31, il convient de répondre à la deuxième question.
B. La deuxième question
- Par sa deuxième question, qu'elle pose en cas de réponse affirmative à la première question, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si les exigences posées par la loi Hoguet peuvent être appliquées à AIRBNB Ireland en tant que prestataire de services de la société de l'information.
- Recevabilité
- Le gouvernement français soutient, à titre principal, que la Cour est manifestement incompétente pour répondre à cette question. Selon ce gouvernement, la seconde question implique de déterminer si AIRBNB Ireland relève du champ d'application ratione materiae de la loi Hoguet, ce qui relève de l'interprétation du droit national et, par conséquent, de la compétence exclusive de la juridiction de renvoi.
- titre subsidiaire, le gouvernement français soutient que la seconde question serait toujours manifestement irrecevable en ce qu'elle ne satisfait pas aux exigences posées par l'article 94 du règlement de procédure de la Cour de justice, puisqu'elle ne précise pas si AIRBNB Ireland relève du champ d'application ratione materiae de la loi Hoguet. (41)
- Je ne partage pas les réserves exprimées par le gouvernement français quant à la recevabilité de la deuxième question.
- Dans ce contexte, il convient de relever que, dans le cadre de son argumentation subsidiaire, le gouvernement français reconnaît qu'il pourrait être considéré que la juridiction de renvoi indique implicitement qu'AIRBNB Ireland relève du champ d'application de la loi Hoguet. En effet, la seconde question porte non pas sur l'applicabilité de cette loi à AIRBNB Ireland, mais sur l'opposabilité à cette entreprise des règles restrictives de la loi Hoguet.
- En outre, une demande de décision préjudicielle bénéficie d'une présomption de pertinence et ce n'est donc que dans des cas rares et extrêmes que la Cour refusera de répondre à une telle demande, notamment s'il est évident que le droit de l'Union ne peut pas être appliqué aux circonstances du litige au principal (42), ce qui n'est pas le cas en l'espèce. En fait, je comprends la deuxième question comme signifiant que la juridiction de renvoi se demande si un État membre autre que celui sur le territoire duquel est établi un prestataire d'un service de la société de l'information (l'État membre d'origine) peut effectivement, par le biais de règles telles que celles prévues par la loi Hoguet, imposer certaines exigences à ce prestataire de services. Comme l'illustre la discussion entre les parties, cette question peut être couverte par plusieurs instruments du droit communautaire.
- Sans préjudice des considérations qui précèdent, il convient de noter que, lors de l'audience, le gouvernement français a déclaré que les exigences posées par la loi Hoguet ne s'appliquaient pas aux prestataires de services tels qu'AIRBNB Ireland.
- En tout état de cause, il appartient à la juridiction de renvoi de déterminer le champ d'application précis de la loi nationale. Il convient donc de répondre à la deuxième question, tout en laissant à la juridiction de renvoi le soin d'aborder la question du champ d'application de la loi Hoguet.
- Substance
(a) L'applicabilité de la directive 2005/36/CE
- L'AHTOP affirme que l'opposabilité de la loi Hoguet à AIRBNB Irlande doit être évaluée à la lumière de la directive 2005/36/CE (43), qui autorise les États membres à appliquer des normes professionnelles et éthiques, ainsi que des normes en matière de responsabilité, à certaines professions.
- D'autre part, AIRBNB Ireland soutient, en premier lieu, que la directive 2000/31 ne contient aucune exclusion impliquant que les dispositions de la directive 2005/36 prévaudraient sur celles de l'ancienne directive.
- En deuxième lieu, AIRBNB Ireland soutient qu'il résulte de l'article 5, paragraphe 2, de la directive 2005/36 et de l'arrêt X-Steuerberatungsgesellschaft (44) que cette directive ne s'applique pas à la situation de l'espèce au motif qu'AIRBNB Ireland ne se déplace pas sur le territoire français pour y exercer sa profession.
- Il convient tout d'abord de relever que, selon l'article 5, paragraphe 2, de la directive 2005/36, le principe de la libre prestation des services, dans la mesure où il concerne les restrictions relatives aux qualifications professionnelles, ne s'applique que lorsque le prestataire se déplace sur le territoire de l'État membre d'accueil pour y exercer, à titre temporaire et occasionnel, sa profession. Rien n'indique qu'AIRBNB Ireland se trouve dans une telle situation. Elle ne bénéficie donc pas du principe de libre prestation de services garanti par l'article 5 de la directive 2005/36.
- Dans l'arrêt X-Steuerberatungsgesellschaft (45), sur lequel AIRBNB Ireland s'appuie, la Cour a considéré que, dans une telle situation, le prestataire de services ne pouvait pas non plus se prévaloir du principe de la libre prestation de services garanti par la directive 2006/123/CE (46) et que, par conséquent, il était nécessaire d'apprécier les conditions d'accès à une profession par référence au traité FEU. (47)
- En l'espèce, se pose donc la question de la relation entre, d'une part, la directive 2000/31 et le principe de la libre circulation des services de la société de l'information et, d'autre part, le pouvoir des États membres de réglementer les conditions d'accès à une profession.
- Il a été suggéré dans la littérature que les conditions d'accès à une profession ne peuvent pas être appliquées à un prestataire qui offre des services avec l'aide de l'internet. (48) En effet, le domaine coordonné englobe notamment les exigences relatives à l'accès à l'activité d'un service de la société de l'information, telles que celles relatives aux qualifications, à l'autorisation ou à la notification, même si ces exigences sont de nature générale. (49) En outre, contrairement à la directive 2006/123 (50), la directive 2000/31 ne contient pas d'exclusion prévoyant que la libre circulation des services de la société de l'information n'affecte pas les exigences relatives à l'accès à une profession réglementée.
- Par conséquent, au moins en ce qui concerne les exigences relatives à l'accès à une profession réglementée, un prestataire qui fournit un service de la société de l'information dans un État membre d'origine peut se prévaloir de la libre circulation des services garantie par la directive 2000/31. (51) Cette question étant couverte par la directive 2000/31, il n'y a pas lieu de l'apprécier à la lumière du droit primaire. (52)
(b) L'applicabilité de la directive 2007/64/CE
- La Commission estime que les services fournis par AIRBNB Payments UK sont potentiellement soumis à la directive 2007/64/CE. (53)
- Puisque la deuxième question est posée au cas où la Cour répondrait par l'affirmative à la première question, ce qui signifie qu'AIRBNB Ireland bénéficie du principe de libre prestation des services de la société de l'information garanti par la directive 2000/31, je limiterai mon analyse de la deuxième question à cette directive.
- En outre, la demande de décision préjudicielle ne mentionnant pas la directive 2007/64 et AIRBNB Payments UK n'étant pas partie au litige au principal, je ne juge pas opportun, en l'absence de précisions de la juridiction de renvoi et d'observations des parties autres que la Commission, d'aborder les questions qui pourraient se poser au regard de cette directive. En effet, la Cour ne dispose pas d'éléments suffisants pour les analyser d'office.
(c) La libre circulation des services de la société de l'information et son champ d'application
- Il convient de noter d'emblée que, selon l'article 3, paragraphe 1, de la directive 2000/31, chaque État membre veille à ce que les services de la société de l'information fournis par un prestataire établi sur son territoire respectent les dispositions nationales applicables dans l'État membre en question qui relèvent du domaine coordonné, tel que défini à l'article 2, point h), de cette directive. En revanche, à l'exception des cas visés à l'article 3, paragraphe 4, de la directive 2000/31, l'article 3, paragraphe 2, de cette directive interdit aux autres États membres, pour des raisons relevant du domaine coordonné, de restreindre la libre circulation des services de la société de l'information.
- Les services de la société de l'information ne bénéficient de la libre circulation garantie par la directive 2000/31 qu'en ce qui concerne les domaines qui relèvent du champ d'application de cette directive. L'article 1er , paragraphe 5, de la directive 2000/31 énonce les domaines et les questions auxquels cette directive ne s'applique pas, mais la présente affaire ne concerne aucun d'entre eux. (54)
- De même, selon l'article 3, paragraphe 3, de la directive 2000/31, les services de la société de l'information ne bénéficient pas de la libre circulation dans les domaines visés à l'annexe de cette directive. Les exigences posées par la loi Hoguet ne relèvent pas de l'un de ces domaines. (55)
- Les exigences relatives aux services de la société de l'information, qui relèvent du domaine coordonné, peuvent provenir de l'État membre d'origine ou - dans les limites imposées par la directive 2000/31, à l'article 3, paragraphe 4 - d'autres États membres.
- La présente affaire concerne cette dernière situation, dans laquelle la législation d'un État membre autre que l'État membre d'origine est susceptible de restreindre les services de la société de l'information et, par conséquent, relève à première vue du champ d'application de l'article 3, paragraphe 2, de la directive 2000/31. (56)
- Le domaine coordonné, tel que défini à l'article 2, sous h), de la directive 2000/31, lu à la lumière du considérant 21 de cette directive, englobe les exigences relatives à l'accès à l'activité d'un service de la société de l'information et à l'exercice d'une telle activité, qu'elles soient de nature générale ou qu'elles aient été spécifiquement conçues pour ces services ou leurs prestataires. (57) Les exigences posées par la loi Hoguet semblent donc relever du champ coordonné.
- Pour qu'une exigence imposée par un État membre autre que celui où est établi le prestataire des services de la société de l'information soit opposable à ce prestataire et conduise à la restriction de la libre circulation de ces services, cette exigence doit être une mesure qui satisfait aux conditions de fond et de procédure prévues à l'article 3, paragraphe 4, points a) et b), respectivement, de la directive 2000/31.
(d) Les mesures dérogatoires à la directive 2000/31
- Il convient de noter d'emblée que la loi Hoguet, adoptée en 1970, est antérieure à la directive 2000/31. Il est donc évident que les exigences posées par cette loi n'ont pas été formulées ab initio comme des mesures prévues à l'article 3, paragraphe 4, de cette directive. En outre, la directive 2000/31 ne contient pas de clause autorisant les États membres à maintenir des mesures antérieures susceptibles de restreindre la libre circulation des services de la société de l'information.
- Néanmoins, je ne peux pas exclure d'emblée qu'une mesure antérieure à la directive 200/31 ou adoptée sur la base d'une législation antérieure à celle-ci, pour autant qu'elle remplisse les conditions prévues à l'article 3, paragraphe 4, de cette directive, puisse restreindre la libre circulation des services de la société de l'information.
- En outre, il ressort du libellé de l'article 3, paragraphe 4, sous b), de la directive 2000/31 qu'un État membre peut déroger à l'article 3, paragraphe 2, de cette directive par deux types de mesures : celles qui sont soumises aux conditions procédurales prévues à l'article 3, paragraphe 4, sous b), de cette directive et celles qui ne sont pas soumises à ces conditions, c'est-à-dire, au moins dans certains cas, les mesures adoptées dans le cadre d'une procédure judiciaire. (58)
- Il convient de relever que, dans les circonstances de l'espèce, la question de savoir si la responsabilité pénale d'AIRBNB Ireland sera retenue à l'issue de la procédure au principal dépend de la réponse à la question préjudicielle de savoir si ce prestataire de services était tenu de satisfaire aux exigences prévues par les dispositions de la loi Hoguet. C'est, à mon sens, la raison pour laquelle la juridiction de renvoi s'interroge sur l'opposabilité à ce prestataire des règles relatives à l'exercice de la profession d'agent immobilier.
- Ceci étant précisé, je vais maintenant procéder à l'analyse des conditions prévues à l'article 3, paragraphe 4, points a) et b), de la directive 2000/31.
(e) Conditions de fond
- Tout d'abord, il résulte de l'article 3, paragraphe 4, point a) i), de la directive 2000/31 que des dérogations à la libre circulation des services de la société de l'information sont admises, notamment lorsqu'elles sont nécessaires pour des raisons d'ordre public, de protection de la santé publique, de sécurité publique ou de protection des consommateurs. Les exigences posées par la loi Hoguet semblent viser la protection des consommateurs.
- Ensuite, aux termes de l'article 3, paragraphe 4, point a) ii), de la directive 2000/31, ces dérogations peuvent être appliquées lorsqu'un service de la société de l'information affecté par une mesure prise par un État membre autre que l'État d'origine porte atteinte à cet objectif ou présente un risque sérieux et grave d'y porter atteinte.
- Enfin, conformément à l'article 3, paragraphe 4, point a) iii), de la directive 2000/31, ces dérogations doivent être proportionnées.
- La décision de renvoi ne contient aucun élément permettant de déterminer si une réglementation telle que celle en cause au principal répond à ces exigences.
- Dès lors, il appartient à un État membre qui cherche, pour des raisons relevant du domaine coordonné, à restreindre la libre circulation des services de la société de l'information, de démontrer que les conditions de fond prévues à l'article 3, paragraphe 4, point a), de la directive 2000/31 sont remplies.
- En effet, en l'absence de précisions sur la nécessité d'adopter la mesure en cause et sur la possibilité que le service d'AIRBNB Ireland porte atteinte à l'un des objectifs visés à l'article 3, paragraphe 4, sous a), i), de la directive 2000/31, la deuxième question ne peut être comprise que comme visant à vérifier si un État membre autre que l'État membre d'origine peut être autorisé à imposer, de sa propre initiative et sans examen des conditions de fond, les exigences relatives à l'exercice de la profession d'agent immobilier aux prestataires d'une catégorie de services de la société de l'information.
- Je pense que la directive 2000/31 s'oppose à ce qu'un État membre puisse restreindre, dans de telles circonstances et d'une telle manière, la libre circulation des services de la société de l'information en provenance d'un autre État membre.
- En premier lieu, l'article 3, paragraphe 1, de la directive 2000/31 impose aux États membres d'origine l'obligation de veiller à ce que les services de la société de l'information fournis par un prestataire établi sur leur territoire soient conformes aux dispositions nationales applicables dans les États membres qui relèvent du domaine coordonné. (59) Contrairement à cette obligation générale, afin de ne pas "diluer" le principe énoncé à l'article 3, paragraphe 1, de la directive 2000/31, l'article 3, paragraphe 4, de cette directive pourrait être compris comme n'autorisant les États membres autres que l'État membre d'origine à déroger à la libre circulation des services que de manière indirecte.
- En second lieu, l'article 3 de la directive 2000/31 doit être interprété de manière à garantir la libre circulation des services de la société de l'information entre les États membres. (60) Si les Etats membres autres que l'Etat membre d'origine étaient également compétents pour appliquer de leur propre initiative, à tous les prestataires d'une catégorie de services de la société de l'information, des mesures de nature générale et abstraite, le principe de la libre circulation de ces services serait considérablement affaibli. En effet, l'article 3, paragraphe 2, de la directive 2000/31 garantit au prestataire de services de la société de l'information une certaine sécurité juridique : sous réserve des dérogations autorisées à l'article 3, paragraphe 4, de la directive 2000/31, ce prestataire ne peut être soumis à des exigences plus strictes que celles prévues par le droit matériel en vigueur dans l'État membre où il est établi.
- En troisième lieu, les mesures adoptées sur la base de l'article 3, paragraphe 4, de la directive 2000/31 ne concernent pas les services de la société de l'information ou leurs prestataires, mais un service donné.
- En quatrième lieu, pour déterminer si un service de la société de l'information porte atteinte à un objectif donné ou présente un risque sérieux et grave d'atteinte à cet objectif, il convient, à mon avis, dans tous les cas, d'examiner les circonstances de l'espèce.
- Enfin, en cinquième lieu, les considérations qui précèdent sont confortées par les conditions procédurales que doit remplir un État membre qui cherche à restreindre la libre circulation des services, et sur lesquelles je reviendrai plus loin. (61) Il convient de noter que, conformément à l'article 3, paragraphe 4, sous b), de la directive 2000/31, un État membre qui envisage d'adopter des mesures pour déroger à l'article 3, paragraphe 2, de cette directive doit d'abord notifier son intention à la Commission et demander à l'État membre d'origine de prendre des mesures à l'égard des services de la société de l'information. Cet État membre peut, en l'absence de réponse appropriée de l'État membre d'origine, adopter les mesures envisagées. Ces conditions procédurales confirment clairement que les mesures visées à l'article 3, paragraphe 4, de la directive 2000/31 ne peuvent être adoptées que sur une base ad hoc.
- Pour ces raisons, je considère qu'un État membre autre que l'État membre d'origine ne peut déroger à la libre circulation des services de la société de l'information que par des mesures prises au cas par cas. (62)
- En outre, je considère que les exigences posées par la loi Hoguet peuvent soulever des doutes quant à leur proportionnalité. Je déduis de la discussion entre les parties lors de l'audience qu'il n'est pas certain que, sur la base de la loi Hoguet, AIRBNB Ireland puisse devenir titulaire d'une licence professionnelle. Toutefois, sur la base des informations fournies par la juridiction de renvoi dans sa demande, la Cour n'est pas en mesure de se prononcer sur ce point.
- En tout état de cause, il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si, compte tenu de l'ensemble des éléments portés à sa connaissance, les mesures en cause sont nécessaires pour assurer la protection des consommateurs et ne vont pas au-delà de ce qui est requis pour atteindre l'objectif poursuivi.
(f) Conditions de procédure
- Pour rappel, il résulte de l'article 3, paragraphe 4, point b), de la directive 2000/31 qu'un Etat membre qui se propose d'adopter des mesures restreignant la libre circulation des services de la société de l'information en provenance d'un autre Etat membre doit d'abord notifier son intention à la Commission et demander à l'Etat membre d'origine de prendre des mesures en ce qui concerne les services de la société de l'information.
- Rien n'indique que la République française ait demandé à l'Irlande de prendre des mesures concernant les services de la société de l'information.
- Il n'apparaît pas non plus que la condition relative à la notification à la Commission ait été remplie, que ce soit pendant ou après la période de transposition de la directive 2000/31.
- Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour que le défaut de notification des règles techniques, tel que prévu par la directive 2015/1535, entraîne l'inapplicabilité de ces règles techniques et, partant, leur inopposabilité aux particuliers. (63) La conséquence juridique est-elle la même en cas de non-communication à la Commission prévue à l'article 3, paragraphe 4, de la directive 2000/31 ? 64)
- Dans ce contexte, il convient de rappeler que, dans ses conclusions dans l'affaire Enichem Base e.a. (65), l'avocat général Jacobs a opéré une distinction entre, d'une part, les obligations d'informer la Commission qui sont assorties de dispositions spécifiques permettant à la Commission et aux différents États membres de formuler des observations sur les projets notifiés et obligeant les États membres, dans certaines circonstances, à reporter l'adoption de ces projets pendant certaines périodes et, d'autre part, les obligations de notifier à la Commission qui ne sont pas encadrées par de telles procédures. L'avocat général Jacobs a ensuite déclaré que, en l'absence de toute procédure prescrite pour la suspension de l'introduction de la mesure concernée ou pour le contrôle communautaire, il ne pouvait être soutenu que le défaut d'information de la Commission avait pour effet de rendre les mesures illégales (66).
- Dans son arrêt, la Cour a jugé qu'en l'absence de toute procédure de contrôle communautaire des projets de réglementation et lorsque la mise en œuvre des règles envisagées n'a pas été subordonnée à l'accord de la Commission ou à l'absence d'objection de sa part, une règle imposant aux États membres d'informer la Commission de tels projets de réglementation et de telles règles ne confère aux particuliers aucun droit qu'ils peuvent faire valoir devant les juridictions nationales au motif que les règles ont été adoptées sans avoir été préalablement communiquées à la Commission. (67)
- De même, dans une jurisprudence ultérieure relative à l'absence de notification des mesures prévue par les directives antérieures à la directive 2015/1535, la Cour a relevé que les instruments juridiques comportant la sanction de l'inapplicabilité en raison de cette absence prévoient une procédure de contrôle par l'Union des projets de règlement et subordonnent la date de leur entrée en vigueur à l'accord ou à l'absence d'opposition de la Commission. (68)
- C'est à la lumière de ces considérations jurisprudentielles qu'il convient de déterminer les effets de l'absence de notification prévue par la directive 2000/31.
- Il est vrai que l'article 3, paragraphe 4, de la directive 2000/31 n'autorise pas la Commission à annuler ou à supprimer les effets d'une mesure nationale. En revanche, selon l'article 3, paragraphe 6, de cette directive, la Commission peut demander à l'État membre concerné de s'abstenir de prendre les mesures proposées ou de mettre fin d'urgence aux mesures en question. En outre, la Commission peut engager une procédure d'infraction à l'encontre de l'État membre lorsque celui-ci n'a pas respecté son obligation de s'abstenir d'adopter une mesure ou d'y mettre fin. (69)
- En outre, en cas d'urgence, l'article 3, paragraphe 5, de la directive 2000/31 autorise les États membres à adopter des mesures restreignant la libre circulation des services de la société de l'information. En cas d'urgence, les mesures doivent être notifiées dans les plus brefs délais à la Commission. J'en déduis qu'à première vue, une mesure peut produire ses effets sans être soumise, avant la date de son entrée en vigueur, à l'accord ou à l'absence d'opposition de la Commission.
- La directive 2015/1535 n'habilite pas non plus la Commission à annuler ou à suspendre l'entrée en vigueur des réglementations nationales. En revanche, cette directive exige que les États membres se conforment aux instructions de la Commission.
- En outre, en vertu de la directive 2015/1535, un État membre peut également avoir recours à la procédure d'urgence lorsqu'il estime nécessaire d'élaborer des règles techniques dans un délai très court.
- Pour ces raisons, compte tenu de l'analogie entre la procédure de contrôle des règles techniques prévue par la directive 2015/1535 et celle concernant les mesures qui restreignent la libre circulation des services de la société de l'information, je considère que, en vertu de la directive 2000/31, le défaut de notification entraîne la sanction de l'inopposabilité d'une mesure à l'encontre du prestataire de ces services.
- À la lumière de ces considérations, je propose de répondre à la deuxième question que l'article 3, paragraphe 4, de la directive 2000/31 doit être interprété en ce sens qu'un État membre autre que celui sur le territoire duquel est établi un prestataire de services de la société de l'information ne peut, pour des raisons relevant du domaine coordonné, restreindre la libre circulation de ces services en se fondant, à l'encontre d'un prestataire de services de la société de l'information, de sa propre initiative et sans qu'un examen des conditions de fond ne soit nécessaire, sur des exigences telles que celles relatives à l'exercice de la profession d'agent immobilier, prévues par la loi Hoguet.
VI. Conclusions
- A la lumière de l'ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles posées par le juge d'instruction du Tribunal de grande instance de Paris (France) :
(1) L'article 2, sous a), de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur ("directive sur le commerce électronique"), lu en combinaison avec l'article 1er , sous b), de la directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil, du 9 septembre 2015, prévoyant une procédure d'information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l'information, doit être interprété en ce sens qu'un service consistant à mettre en relation, par l'intermédiaire d'une plateforme électronique, des hôtes potentiels avec des hôtes proposant un hébergement de courte durée, dans une situation où le prestataire de ce service n'exerce pas de contrôle sur les procédures essentielles de la prestation de ces services, constitue un service de la société de l'information au sens de ces dispositions.
(2) L'article 3, paragraphe 4, de la directive 2000/31 doit être interprété en ce sens qu'un État membre autre que celui sur le territoire duquel est établi un prestataire d'un service de la société de l'information ne peut, pour des raisons relevant du domaine coordonné, restreindre la libre circulation de ces services en opposant à un prestataire de services de la société de l'information, de sa propre initiative et sans qu'un examen des conditions de fond soit nécessaire, sur des exigences telles que celles relatives à l'exercice de la profession d'agent immobilier, prévues par la loi n° 70-9, du 2 janvier 1970, réglementant les conditions d'exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce.
1 Langue originale : français.
2 Arrêt du 20 décembre 2017 (C-434/15, EU:C:2017:981, point 48).
3 Arrêt du 10 avril 2018 (C-320/16, EU:C:2018:221, point 27).
4 Directive du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur ("directive sur le commerce électronique") (JO L 178, p. 1).
5 Directive du Parlement européen et du Conseil, du 9 septembre 2015, prévoyant une procédure d'information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l'information (JO L 241, p. 1). Voir l'article 10 de cette directive.
6 Directive du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 1998, prévoyant une procédure d'information dans le domaine des normes et réglementations techniques (JO L 204, p. 37), telle que modifiée par la directive 98/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 juillet 1998 (JO L 217, p. 18) ("directive 98/34").
7 Voir l'article 10 de la directive 2015/1535.
8 JORF du 4 janvier 1970, p. 142.
9 Arrêt du 20 décembre 2017 (C-434/15, EU:C:2017:981).
10 Arrêt du 10 avril 2018 (C-320/16, EU:C:2018:221).
11 Arrêt du 20 décembre 2017 (C-434/15, EU:C:2017:981).
12 Voir https://www.airbnb.co.uk/terms#eusec7.
13 Arrêt du 12 juillet 2011 (C-324/09, EU:C:2011:474, point 109).
14 C-434/15, EU:C:2017:364, point 27.
15 Arrêt du 11 septembre 2014 (C-291/13, EU:C:2014:2209, points 28 et 29).
16 Arrêt du 23 mars 2010 (C-236/08 à C-238/08, EU:C:2010:159, points 23 et 110).
17 Voir mon avis dans l'affaire Asociación Profesional Elite Taxi (C-434/15, EU:C:2017:364, point 33).
18 Arrêt du 2 décembre 2010 (C-108/09, EU:C:2010:725, points 32 à 38).
19 Voir mon avis dans l'affaire Asociación Profesional Elite Taxi (C-434/15, EU:C:2017:364, point 35).
20 Arrêt du 20 décembre 2017 (C-434/15, EU:C:2017:981, point 34).
21 Voir l'arrêt du 20 décembre 2017, Asociación Profesional Elite Taxi (C-434/15, EU:C:2017:981, point 35).
22 Voir l'arrêt du 20 décembre 2017, Asociación Profesional Elite Taxi (C-434/15, EU:C:2017:981, point 38). (Soulignement ajouté).
23 Voir arrêt du 20 décembre 2017, Asociación Profesional Elite Taxi (C-434/15, EU:C:2017:981, point 39).
24 Voir l'arrêt du 20 décembre 2017, Asociación Profesional Elite Taxi (C-434/15, EU:C:2017:981, point 39).
25 Arrêt du 20 décembre 2017 (C-434/15, EU:C:2017:981).
26 Arrêt du 10 avril 2018 (C-320/16, EU:C:2018:221).
27 Arrêt du 20 décembre 2017 (C-434/15, EU:C:2017:981).
28 Arrêt du 10 avril 2018 (C-320/16, EU:C:2018:221).
29 Voir l'arrêt du 20 décembre 2017 (C-434/15, EU:C:2017:981, point 38).
30 Voir également mon avis dans l'affaire Asociación Profesional Elite Taxi (C-434/15, EU:C:2017:364, point 43). À cet égard, voir également Van Cleynenbreuel, P., " Le droit de l'Union européenne ne se prête-t-il pas (encore) à l'ubérisation des services ? ", Revue de la Faculté de droit de l'Université de Liège, n° 1, 2018, p. 114.
31 Voir mon avis dans l'affaire Asociación Profesional Elite Taxi (C-434/15, EU:C:2017:364, point 31).
32 Arrêt du 20 décembre 2017 (C-434/15, EU:C:2017:981).
33 Arrêt du 10 avril 2018 (C-320/16, EU:C:2018:221).
34 Voir arrêts du 20 décembre 2017, Asociación Profesional Elite Taxi (C-434/15, EU:C:2017:981, point 39), et du 10 avril 2018, Uber France (C-320/16, EU:C:2018:221, point 21).
35 Voir mes avis dans l'affaire Asociación Profesional Elite Taxi (C-434/15, EU:C:2017:364, point 51) et dans l'affaire Uber France (C-320/16, EU:C:2017:511, points 15, 16 et 20).
36 Voir mon avis dans l'affaire Asociación Profesional Elite Taxi (C-434/15, EU:C:2017:364, point 50).
37 Voir mon avis dans l'affaire Asociación Profesional Elite Taxi (C-434/15, EU:C:2017:364, point 34).
38 Arrêt du 2 décembre 2010 (C-108/09, EU:C:2010:725).
39 Arrêt du 2 décembre 2010 (C-108/09, EU:C:2010:725).
40 Voir, par analogie, l'arrêt du 2 décembre 2010, Ker-Optika (C-108/09, EU:C:2010:725, point 41).
41 À titre encore plus subsidiaire, le gouvernement français fait valoir, dans ses observations écrites, qu'une procédure pénale engagée à la suite du dépôt d'une plainte assortie d'une demande de constitution de partie civile doit être considérée comme un litige entre particuliers. La directive 2003/31 ne pourrait donc pas être invoquée dans le cadre du litige en cause au principal et, par conséquent, la deuxième question aurait un caractère hypothétique. Toutefois, lors de l'audience, le gouvernement français a semblé retirer son argument relatif au caractère hypothétique de la seconde question. En tout état de cause, rien n'indique que le litige soumis à la juridiction de renvoi est un litige entre deux particuliers. En outre, il ressort du cadre juridique explicite de la décision de renvoi que des poursuites pénales engagées à la suite du dépôt d'une plainte assortie d'une demande de constitution de partie civile pourraient aboutir à l'application de sanctions pénales.
42 Voir notamment l'arrêt du 7 juillet 2011, Agafiţei e.a. (C-310/10, EU:C:2011:467, point 28).
43 Directive du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles (JO 2005, L 255, p. 22).
44 Arrêt du 17 décembre 2015 (C-342/14, EU:C:2015:827, point 35).
45 Arrêt du 17 décembre 2015 (C-342/14, EU:C:2015:827).
46 Directive du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur (JO 2006, L 376, p. 36).
47 Selon l'article 17, paragraphe 6, de la directive 2006/123, le principe de la libre prestation des services énoncé à l'article 16 de cette directive ne s'applique pas aux matières couvertes par le titre II de la directive 2005/36 ni aux exigences de l'État membre où le service est fourni qui réservent une activité à une profession déterminée. Voir l'arrêt du 17 décembre 2015, X-Steuerberatungsgesellschaft (C-342/14, EU:C:2015:827, point 35).
48 Voir notamment Hatzopoulos, V., The Collaborative Economy and EU Law, Hart Publishing, Oxford-Portland, 2018, p. 41.
49 Voir l'article 2(h) de la directive 2000/31. Voir également Lodder, A.R., & Murray, A.D. (Eds.), EU Regulation of E-Commerce : A Commentary, Edward Elgar Publishing, Cheltenham-Northampton, 2017, p. 29.
50 Voir note de bas de page 47.
51 Voir, à cet effet, Guide de l'utilisateur - Directive 2005/36/CE - Tout ce que vous devez savoir sur la reconnaissance des qualifications professionnelles, https://ec.europa.eu, p. 15.
52 Voir, en ce sens, l'arrêt du 23 février 2016, Commission/Hongrie (C-179/14, EU:C:2016:108, point 118). Voir également mes conclusions dans les affaires jointes X et Visser (C-360/15 et C-31/16, EU:C:2017:397, point 152).
53 Directive du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2007 concernant les services de paiement dans le marché intérieur, modifiant les directives 97/7/CE, 2002/65/CE, 2005/60/CE et 2006/48/CE et abrogeant la directive 97/5/CE (JO 2007, L 319, p. 1).
54 Il résulte de l'article 1er, paragraphe 5, de la directive 2000/31 que celle-ci ne s'applique pas au domaine de la fiscalité, aux questions relatives au traitement des données à caractère personnel et à celles relatives aux accords ou pratiques relevant du droit des ententes ou à certaines activités des services de la société de l'information, visées à l'article 1er, paragraphe 5, sous d), de ladite directive.
55 Voir l'annexe de la directive 2000/31. Sur le fonctionnement de l'article 3, paragraphe 3, de cette directive, voir l'arrêt du 29 novembre 2017, VCAST (C-265/16, EU:C:2017:913, points 24 et 25). Voir également mes conclusions dans l'affaire VCAST (C-265/16, EU:C:2017:649, point 19).
56 Voir, a contrario, arrêt du 11 septembre 2014, Papasavvas (C-291/13, EU:C:2014:2209, point 35).
57 En revanche, les exigences qui ne relèvent pas du domaine coordonné et qui ne sont pas non plus harmonisées au niveau de l'Union doivent être appréciées, le cas échéant, à la lumière du droit primaire. Voir, à cet effet, l'arrêt du 14 février 2008, Dynamic Medien (C-244/06, EU:C:2008:85, point 23). Voir également Lodder, A.R., "Directive 2000/31/CE relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur", dans Lodder, A.R., & Murray, A.D. (Eds.), EU Regulation of E-Commerce : A Commentary, Edward Elgar Publishing, Cheltenham-Northampton, 2017, p. 31.
58 Voir également le considérant 25 de la directive 2000/31, qui indique que les juridictions nationales, y compris les juridictions civiles, traitant de litiges de droit privé peuvent prendre des mesures pour déroger à la libre prestation des services de la société de l'information conformément aux conditions établies dans cette directive. En outre, selon le considérant 26 de la directive 2000/31, les États membres peuvent, conformément aux conditions établies dans cette directive, appliquer leurs règles nationales en matière de droit pénal et de procédure pénale en vue de prendre toutes les mesures d'enquête et autres mesures nécessaires à la détection et à la poursuite des infractions pénales, sans qu'il soit nécessaire de notifier ces mesures à la Commission.
59 Voir l'arrêt du 25 octobre 2011, eDate Advertising e.a. (C-509/09 et C-161/10, EU:C:2011:685, point 61). Voir également D'Acunto, S., "La directive 98/48 prévoyant un mécanisme de transparence règlementaire pour les information society services : un premier bilan après douze mois de fonctionnement", Revue du droit de l'Union européenne, No 3, 2000, p. 628.
60 Voir l'arrêt du 25 octobre 2011, eDate Advertising e.a. (C-509/09 et C-161/10, EU:C:2011:685, point 64).
61 Voir les points 138 à 150 du présent avis.
62 Voir Communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen et à la Banque centrale européenne - Application aux services financiers de l'article 3, paragraphes 4 à 6, de la directive sur le commerce électronique (COM/2003/0259 final, points 1 et 2.1.2) ; Rapport de la Commission au Parlement européen, au Conseil et au Comité économique et social européen - Premier rapport de la Commission sur l'application de la directive [2000/31] du 21 novembre 2003 (COM(2003) 702 final, point 4.1). Voir également Crabit, E., "La directive sur le commerce électronique. Le projet "Méditerranée"", Revue du Droit de l'Union Européenne, No 4, 2000, pp. 762 et 792 ; Gkoutzinis, A., Internet Banking and the Law in Europe : Regulation, Financial Integration and Electronic Commerce, Cambridge University Press, Cambridge-New York, 2006, p. 283.
63 Voir, récemment, arrêt du 7 août 2018, Smith (C-122/17, EU:C:2018:631, points 52 et 53). Voir également mes conclusions dans l'affaire Uber France (C-320/16, EU:C:2017:511, point 37).
64 Il convient de relever que, si les exigences prévues par la loi Hoguet étaient considérées comme des mesures au sens de l'article 3, paragraphe 4, de la directive 2000/31, la question du lien entre l'obligation de notification prévue par la directive 2000/31 et celle prévue par la directive 2015/1535 ne se poserait pas. En effet, pour être qualifiée de " règle technique ", soumise à l'obligation de notification au titre de cette dernière directive, une exigence prévue par le droit national doit avoir pour but et pour objet spécifiques de réglementer de manière explicite et ciblée les services de la société de l'information (voir mes conclusions dans l'affaire Uber France, C-320/16, EU:C:2017:511, points 24 à 33). Or, telle n'est pas la situation en l'espèce. En effet, ainsi qu'il ressort de la jurisprudence de la Cour, les dispositions nationales qui soumettent l'exercice d'une activité économique à une autorisation préalable ne constituent pas non plus des règles techniques (voir arrêt du 20 décembre 2017, Falbert e.a., C-255/16, EU:C:2017:983, point 16). En substance, la loi Hoguet soumet l'exercice de l'activité d'agent immobilier à l'obtention d'une carte professionnelle.
65 380/87, non publié, EU:C:1989:135.
66 Voir les conclusions de l'avocat général Jacobs dans l'affaire Enichem Base e.a. (380/87, non publiées, EU:C:1989:135, point 14).
67 Voir l'arrêt du 13 juillet 1989, Enichem Base et autres (380/87, EU:C:1989:318, points 20 et 24).
68 Voir l'arrêt du 26 septembre 2000, Unilever (C-443/98, EU:C:2000:496, point 43).
69 Voir Crabit, E., "La directive sur le commerce électronique. Le projet "Méditerranée"", Revue du droit de l'Union européenne, No 4, 2000, p. 791, et Kightlinger, M.F., "A Solution to the Yahoo ! Problem ? The EC E-Commerce Directive as a Model for International Cooperation on Internet Choice of Law', Michigan Journal of International Law, vol. 24, No 3, 2003, p. 737.
ARRÊT DE LA COUR (Grande chambre)
19 décembre 2019 (*)
(Demande de décision préjudicielle - Directive 2000/31/CE - Services de la société de l'information - Directive 2006/123/CE - Services - Mise en relation d'hôtes, entreprises ou particuliers, disposant d'un logement à louer avec des personnes recherchant ce type de logement - Qualification - Législation nationale imposant certaines restrictions à l'exercice de la profession d'agent immobilier - Directive 2000/31/CE - Article 3, paragraphe 4, sous b), deuxième tiret - Obligation de notification des mesures restreignant la libre prestation des services de la société de l'information - Défaut de notification - Opposabilité - Procédure pénale assortie d'une action civile accessoire)
Dans l'affaire C-390/18,
Demande de décision préjudicielle au titre de l'article 267 du TFUE présentée par le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Paris, par décision du 7 juin 2018, parvenue à la Cour le 13 juin 2018, dans la procédure pénale engagée à l'encontre de
X,
intervenants :
YA,
Airbnb Ireland UC,
Hôtelière Turenne SAS,
Association pour un hébergement et un tourisme professionnels (AHTOP),
Valhotel,
LE TRIBUNAL (Grande Chambre),
composée de K. Lenaerts, président, R. Silva de Lapuerta, vice-président, A. Arabadjiev, E. Regan, P.G. Xuereb et L.S. Rossi, présidents de chambre, E. Juhász, M. Ilešič, J. Malenovský, D. Šváby (rapporteur) et N. Piçarra, juges,
Avocat général : M. Szpunar,
Greffier : V. Giacobbo-Peyronnel, Administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l'audition du 14 janvier 2019,
après avoir examiné les observations présentées au nom de :
- Airbnb Ireland UC, par D. Van Liedekerke, O.W. Brouwer et A.A.J. Pliego Selie, advocaten,
- l'Association pour un hébergement et un tourisme professionnels (AHTOP), par B. Quentin, G. Navarro et M. Robert, avocats,
- le gouvernement français, par E. de Moustier et R. Coesme, en qualité d'agents,
- le gouvernement tchèque, par M. Smolek, J. Vláčil et T. Müller, en qualité d'agents,
- le gouvernement espagnol, par M.J. García-Valdecasas Dorrego, en qualité d'agent,
- le gouvernement luxembourgeois, initialement par D. Holderer, puis par T. Uri, en qualité d'agents,
- la Commission européenne, par L. Malferrari, É. Gippini Fournier et S.L. Kalėda, en qualité d'agents,
après avoir entendu les conclusions de l'avocat général à l'audience du 30 avril 2019,
donne ce qui suit
Arrêt de la Cour
1 La présente demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation de l'article 3 de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur ("directive sur le commerce électronique") (JO L 178, p. 1).
2 La demande a été formulée dans le cadre d'une procédure pénale contre X, notamment pour avoir manipulé des fonds pour des activités de médiation et de gestion d'immeubles et d'entreprises par une personne dépourvue de licence professionnelle.
Contexte juridique
Droit de l'UE
Directive 98/34
3 L'article 1er , premier alinéa, point 2, de la directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 1998, prévoyant une procédure d'information dans le domaine des normes et réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l'information (JO L 204, p. 37), telle que modifiée par la directive 98/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 juillet 1998 (JO L 217, p. 18) (ci-après la "directive 98/34"), dispose ce qui suit :
Aux fins de la présente directive, les définitions suivantes s'appliquent :
...
- "service", tout service de la société de l'information, c'est-à-dire tout service normalement fourni contre rémunération, à distance, par voie électronique et à la demande individuelle d'un destinataire de services.
Aux fins de la présente définition :
- à distance" signifie que le service est fourni sans que les parties soient simultanément présentes,
- par voie électronique" : le service est envoyé initialement et reçu à destination au moyen d'équipements électroniques de traitement (y compris la compression numérique) et de stockage de données, et entièrement transmis, acheminé et reçu par fil, par radio, par moyens optiques ou par d'autres moyens électromagnétiques,
- "à la demande individuelle d'un destinataire de services" signifie que le service est fourni par la transmission de données sur demande individuelle.
...'
Directive (UE) 2015/1535
4 La directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil, du 9 septembre 2015, prévoyant une procédure d'information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l'information (JO L 241, p. 1), a abrogé et remplacé la directive 98/34 à compter du 7 octobre 2015.
5 L'article 1(1)(b) de la directive 2015/1535 stipule :
Aux fins de la présente directive, les définitions suivantes s'appliquent :
...
(b) "service" : tout service de la société de l'information, c'est-à-dire tout service presté normalement contre rémunération, à distance, par voie électronique et à la demande individuelle d'un destinataire de services.
Aux fins de la présente définition :
(i) "à distance" signifie que le service est fourni sans que les parties soient simultanément présentes ;
(ii) "par voie électronique" : le service est envoyé initialement et reçu à destination au moyen d'équipements électroniques de traitement (y compris la compression numérique) et de stockage de données, et entièrement transmis, acheminé et reçu par fil, par radio, par moyens optiques ou par d'autres moyens électromagnétiques ;
(iii) "à la demande individuelle d'un destinataire de services" signifie que le service est fourni par la transmission de données sur demande individuelle.
Une liste indicative des services non couverts par cette définition figure à l'annexe I.
6 L'article 5, paragraphe 1, de cette directive prévoit :
Sous réserve de l'article 7, les États membres communiquent immédiatement à la Commission tout projet de règle technique, sauf s'il s'agit de la simple transposition du texte intégral d'une norme internationale ou européenne, auquel cas une information sur la norme concernée suffit ; ils communiquent également à la Commission un exposé des motifs qui rendent nécessaire l'édiction d'une telle règle technique, lorsque ces motifs n'ont pas déjà été clairement exposés dans le projet.
...'
7 En vertu de l'article 10, deuxième alinéa, de la directive 2015/1535, les références à la directive 98/34 s'entendent désormais comme des références à la directive 2015/1535.
Directive 2000/31
8 Le considérant 8 de la directive 2000/31 stipule que
L'objectif de la présente directive est de créer un cadre juridique pour garantir la liberté des services de la société de l'information entre les États membres et non d'harmoniser le domaine du droit pénal en tant que tel.
9 Dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur de la directive 2015/1535, l'article 2, sous a), de la directive 2000/31 définissait les "services de la société de l'information" comme des services au sens de l'article 1er, premier alinéa, point 2, de la directive 98/34. Depuis l'entrée en vigueur de cette directive, cette référence doit être comprise comme étant faite à l'article 1er , paragraphe 1, sous b), de la directive 2015/1535.
10 L'article 2, point h), de la directive 2000/31 dispose :
h) "domaine coordonné" : les exigences prévues par les systèmes juridiques des États membres applicables aux prestataires de services de la société de l'information ou aux services de la société de l'information, qu'elles soient de nature générale ou spécifiquement conçues pour eux.
(i) Le domaine coordonné concerne les exigences auxquelles le prestataire de services doit se conformer en ce qui concerne
- l'accès à l'activité d'un service de la société de l'information, comme les exigences en matière de qualifications, d'autorisation ou de notification,
- l'exercice de l'activité d'un service de la société de l'information, telles que les exigences relatives au comportement du prestataire, les exigences relatives à la qualité ou au contenu du service, y compris celles applicables à la publicité et aux contrats, ou les exigences relatives à la responsabilité du prestataire ;
(ii) Le champ coordonné ne couvre pas les exigences telles que :
- les exigences applicables aux marchandises en tant que telles,
- les exigences applicables à la livraison des marchandises,
- les exigences applicables aux services qui ne sont pas fournis par voie électronique".
11 L'article 3, paragraphes 2 et 4 à 6, de cette directive stipule ce qui suit :
'2. Les États membres ne peuvent pas, pour des raisons relevant du domaine coordonné, restreindre la libre prestation des services de la société de l'information à partir d'un autre État membre.
...
- Les États membres peuvent prendre des mesures pour déroger au paragraphe 2 en ce qui concerne un service de la société de l'information donné si les conditions suivantes sont remplies :
(a) les mesures sont :
(i) nécessaire pour l'une des raisons suivantes :
- l'ordre public, notamment la prévention, la recherche, la détection et la poursuite des infractions pénales, y compris la protection des mineurs et la lutte contre toute incitation à la haine pour des raisons de race, de sexe, de religion ou de nationalité, et contre les atteintes à la dignité humaine des personnes,
- la protection de la santé publique,
- la sécurité publique, y compris la sauvegarde de la sécurité et de la défense nationales,
- la protection des consommateurs, y compris des investisseurs ;
(ii) prises à l'encontre d'un service donné de la société de l'information qui portent atteinte aux objectifs visés au point i) ou qui présentent un risque sérieux et grave d'atteinte à ces objectifs ;
(iii) proportionnés à ces objectifs ;
(b) avant de prendre les mesures en question et sans préjudice des procédures judiciaires, y compris les procédures préliminaires et les actes accomplis dans le cadre d'une enquête pénale, l'État membre a :
- a demandé à l'État membre visé au paragraphe 1 de prendre des mesures et que ce dernier n'a pas pris ces mesures ou qu'elles étaient inadéquates,
- a notifié à la Commission et à l'État membre visé au paragraphe 1 son intention de prendre de telles mesures.
- Les États membres peuvent, en cas d'urgence, déroger aux conditions prévues au paragraphe 4, point b). Dans ce cas, les mesures sont notifiées dans les plus brefs délais à la Commission et à l'État membre visé au paragraphe 1, en indiquant les raisons pour lesquelles l'État membre estime qu'il y a urgence.
- Sans préjudice de la possibilité pour l'État membre de procéder aux mesures en question, la Commission examine la compatibilité des mesures notifiées avec le droit communautaire dans les plus brefs délais ; lorsqu'elle parvient à la conclusion que la mesure est incompatible avec le droit communautaire, la Commission demande à l'État membre en question de s'abstenir de prendre toute mesure envisagée ou de mettre fin d'urgence aux mesures en question". Directive 2006/123/CE
12 L'article 3, paragraphe 1, de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur (JO L 376, p. 36) dispose :
Si les dispositions de la présente directive sont en conflit avec une disposition d'un autre acte communautaire régissant des aspects spécifiques de l'accès à une activité de service ou de son exercice dans des secteurs ou pour des professions spécifiques, la disposition de l'autre acte communautaire prévaut et s'applique à ces secteurs ou professions spécifiques. ...'
Droit français
13 L'article 1er de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d'exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce (JORF du 4 janvier 1970, p. 142), dans sa version applicable aux faits au principal (ci-après la "loi Hoguet"), dispose :
Les dispositions de la présente loi s'appliquent à toutes les personnes physiques ou morales qui se prêtent ou prêtent leur concours à titre habituel, même à titre accessoire, à toute opération portant sur les biens d'autrui et relative à..." :
- l'achat, la vente, la recherche, l'échange, la location ou la sous-location, saisonnière ou non, meublée ou non, d'immeubles existants ou en cours de construction ;
...'
14 L'article 3 de cette loi prévoit que
Les activités énumérées à l'article 1er ne peuvent être exercées que par des personnes physiques ou morales titulaires d'une carte professionnelle délivrée, pour une durée et selon des modalités fixées par décret en Conseil d'État, par le président de la chambre de commerce et d'industrie de région ou par le président de la chambre de commerce et d'industrie de région d'Île-de-France, énumérant les opérations que ces personnes peuvent effectuer. ...
Ce permis ne peut être délivré qu'à des personnes physiques à condition qu'elles :
- fournir la preuve de leurs qualifications professionnelles ;
- fournir la preuve d'une garantie financière permettant le remboursement des fonds ... ;
- s'assurer contre les conséquences financières de leur responsabilité civile et professionnelle ;
- ne sont pas concernés par l'une des conditions de validation ou d'exclusion ...
...'
15 L'article 5 de cette loi prévoit que
Les personnes visées à l'article 1er qui reçoivent ou détiennent des sommes d'argent ... doivent respecter les conditions fixées par le décret en Conseil d'État, notamment les formalités de tenue des registres et de délivrance des reçus, ainsi que les autres obligations découlant de ce mandat.
16 L'article 14 de cette loi est libellé comme suit :
Les faits suivants sont punis de 6 mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende :
(a) de se prêter ou de prêter régulièrement son concours, même à titre accessoire, aux opérations visées à l'article 1er sans être titulaire d'un agrément en cours de validité délivré conformément à l'article 3, ou après le rétablissement de cet agrément, ou si ledit agrément n'a pas été rétabli après une déclaration de non-compétence émanant de l'organe administratif compétent ;
...'
17 L'article 16 de la loi Hoguet prévoit :
Les faits suivants sont punis de 2 ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende :
- le fait de recevoir ou de détenir au moment des opérations visées à l'article 1er, à quelque titre et de quelque manière que ce soit, des sommes d'argent, des marchandises ou des actions et obligations qui sont :
(a) en violation de l'article 3 ;
(b) en violation des conditions prévues à l'article 5 concernant la tenue de registres et la délivrance de récépissés lorsque ces documents et récépissés sont légalement requis ;
...'
Le litige au principal et les questions préjudicielles
18 Airbnb Ireland UC, une société de droit irlandais établie à Dublin (Irlande), fait partie du groupe Airbnb, composé de plusieurs sociétés détenues directement ou indirectement par Airbnb Inc. établie aux États-Unis. Airbnb Ireland propose une plateforme électronique dont l'objet est, moyennant le paiement d'une commission, la mise en relation, notamment en France, entre, d'une part, des hôtes, professionnels ou particuliers, ayant un logement à louer et, d'autre part, des personnes à la recherche d'un tel logement. Airbnb Payments UK Ltd, société de droit britannique établie à Londres (Royaume-Uni), fournit des services de paiement en ligne dans le cadre de ce service de mise en relation et gère les activités de paiement du groupe dans l'Union européenne. Par ailleurs, Airbnb France SARL, société de droit français fournisseur d'Airbnb Ireland, est chargée de promouvoir cette plateforme auprès des utilisateurs sur le marché français en organisant notamment des campagnes publicitaires auprès de publics cibles.
19 Outre le service de mise en relation des hôtes et des invités au moyen de sa plateforme électronique qui centralise les offres, Airbnb Ireland offre aux hôtes un certain nombre d'autres services, tels qu'un format pour présenter le contenu de leur offre, avec une option pour un service de photographie, ainsi qu'une option pour une assurance de responsabilité civile et une garantie contre les dommages pouvant aller jusqu'à 800 000 euros. En outre, elle met à leur disposition un outil optionnel permettant d'estimer le prix de la location en fonction des moyennes du marché tirées de cette plateforme. En outre, si un hôte accepte un invité, ce dernier transfère à Airbnb Payments UK le prix de la location, auquel s'ajoutent 6% à 12% de ce montant au titre des charges et du service fourni par Airbnb Ireland. Airbnb Payments UK conserve l'argent au nom de l'hôte puis, 24 heures après l'enregistrement de l'hôte, envoie l'argent à l'hôte par transfert, donnant ainsi à l'hôte l'assurance que le bien existe et à l'hôte une garantie de paiement. Enfin, Airbnb Ireland a mis en place un système permettant à l'hôte et à l'invité de laisser une évaluation sur une échelle de zéro à cinq étoiles, et cette évaluation est disponible sur la plateforme électronique en question.
20 En pratique, ainsi qu'il ressort des explications fournies par Airbnb Ireland, les internautes à la recherche d'un logement à louer se connectent à sa plateforme électronique, identifient le lieu où ils souhaitent se rendre ainsi que la période et le nombre de personnes de leur choix. Sur cette base, Airbnb Ireland leur fournit la liste des logements disponibles correspondant à ces critères afin que les utilisateurs puissent sélectionner le logement de leur choix et procéder à sa réservation en ligne.
21 Dans ce contexte, les utilisateurs de la plateforme électronique en cause, tant les hôtes que les invités, concluent un contrat avec Airbnb Ireland pour l'utilisation de cette plateforme et avec Airbnb Payments UK pour les paiements effectués par l'intermédiaire de celle-ci.
22 Le 24 janvier 2017, l'Association pour un hébergement et un tourisme professionnels (AHTOP) a déposé une plainte avec constitution de partie civile, notamment pour l'exercice d'activités d'entremise et de gestion d'immeubles et de fonds de commerce sans carte professionnelle, au titre de la loi Hoguet, entre le 11 avril 2012 et le 24 janvier 2017.
23 À l'appui de sa plainte, l'AHTOP fait valoir qu'Airbnb Ireland ne se contente pas de mettre en relation deux parties par l'intermédiaire de sa plateforme, mais qu'elle offre également des services supplémentaires qui s'apparentent à une activité d'intermédiaire dans le cadre de transactions immobilières.
24 Le 16 mars 2017, après le dépôt de cette plainte, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris a porté plainte, entre autres, pour maniement de fonds pour des activités d'entremise et de gestion d'immeubles et d'entreprises par une personne sans carte professionnelle, en violation de la loi Hoguet, pour la période comprise entre le 11 avril 2012 et le 24 janvier 2017.
25 Airbnb Ireland nie agir en tant qu'agent immobilier et soutient que la loi Hoguet est inapplicable au motif qu'elle est incompatible avec la directive 2000/31.
26 Dans ce contexte, le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Paris s'interroge sur le point de savoir si le service fourni par Airbnb Ireland doit être qualifié de "service de la société de l'information" au sens de cette directive et, dans l'affirmative, si cela s'oppose à ce que la loi Hoguet soit appliquée à cette société dans le cadre de l'affaire au principal ou si, au contraire, cette directive ne s'oppose pas à ce que des poursuites pénales soient engagées à l'encontre d'Airbnb Ireland sur le fondement de cette loi.
27 Dans ces conditions, le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Paris a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
(1) Les services fournis en France par ... Airbnb Ireland via une plateforme électronique gérée depuis l'Irlande bénéficient-ils de la libre prestation de services établie à l'article 3 de la [directive 2000/31] ?
(2) Les règles restrictives relatives à l'exercice de la profession d'agent immobilier en France édictées par [la loi Hoguet] sont-elles opposables à Airbnb Ireland ?".
Examen des questions préjudicielles
Recevabilité de la demande de décision préjudicielle
28 Airbnb Ireland soutient que la juridiction de renvoi a tort de considérer que les activités d'Airbnb Ireland relèvent du champ d'application de la loi Hoguet. Le gouvernement français a exprimé le même point de vue lors de l'audience.
29 À cet égard, selon une jurisprudence constante, les questions relatives à l'interprétation du droit de l'Union posées par une juridiction nationale dans le contexte factuel et législatif qu'il appartient à cette juridiction de définir, et dont l'exactitude n'est pas du ressort de la Cour, bénéficient d'une présomption de pertinence. La Cour ne peut refuser de statuer sur une question posée par une juridiction nationale que lorsqu'il est manifeste que l'interprétation du droit de l'Union recherchée n'a aucun rapport avec la réalité du litige au principal ou avec son objet, lorsque le problème est hypothétique ou lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait ou de droit nécessaires pour répondre utilement aux questions qui lui sont posées (arrêt du 22 juin 2010, Melki et Abdeli, C-188/10 et C-189/10, EU:C:2010:363, point 27).
30 En l'occurrence, ainsi que le reconnaît le gouvernement français, en substance, la juridiction de renvoi soulève la question de l'opposabilité des dispositions de la loi Hoguet à Airbnb Ireland parce qu'elle considère implicitement que le service d'intermédiation fourni par cette société relève du champ d'application matériel de cette loi.
31 Toutefois, il n'apparaît pas de manière manifeste que l'interprétation de la loi Hoguet par la juridiction de renvoi soit clairement exclue à la lumière du libellé des dispositions de droit national contenues dans la décision de renvoi (voir, par analogie, arrêt du 22 juin 2010, Melki et Abdeli, C-188/10 et C-189/10, EU:C:2010:363, point 28).
32 Airbnb Ireland fait en outre valoir que la décision de renvoi contient un résumé de la législation nationale française et qu'elle aurait dû prendre en considération d'autres dispositions de cette législation. Pour sa part, la Commission soutient que cette décision est entachée d'un manque de précisions factuelles.
33 En l'occurrence, la décision de renvoi expose de manière succincte, mais précise, le contexte juridique national pertinent ainsi que l'origine et la nature du litige. Il s'ensuit que la juridiction de renvoi a suffisamment défini le contexte factuel et juridique de sa demande d'interprétation du droit de l'Union et qu'elle a fourni à la Cour toutes les informations nécessaires pour lui permettre de répondre utilement à cette demande (arrêt du 23 mars 2006, Enirisorse, C-237/04, EU:C:2006:197, point 19).
34 Dans ces conditions, la présente demande de décision préjudicielle ne saurait être considérée comme irrecevable dans son intégralité.
Observations préliminaires
35 Dans leurs observations, l'AHTOP et la Commission font respectivement valoir que la réglementation en cause au principal doit être appréciée au regard, non seulement de la directive 2000/31, mais également de la directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 septembre 2005, relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles (JO 2005, L 255, p. 22) et de la directive 2007/64/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2007 concernant les services de paiement dans le marché intérieur, modifiant les directives 97/7/CE, 2002/65/CE, 2005/60/CE et 2006/48/CE et abrogeant la directive 97/5/CE (JO L 319, p. 1).
36 À cet égard, il convient de rappeler que, dans le cadre de la procédure prévue à l'article 267 TFUE prévoyant une coopération entre les juridictions nationales et la Cour, il appartient à cette dernière de fournir à la juridiction nationale une réponse qui lui soit utile et qui lui permette de statuer sur l'affaire dont elle est saisie. Dans ce contexte, la Cour peut extraire de l'ensemble des informations fournies par la juridiction nationale, notamment des motifs de la décision de renvoi, la législation et les principes du droit de l'Union qui nécessitent une interprétation au regard de l'objet du litige au principal afin de reformuler les questions qui lui sont posées et d'interpréter toutes les dispositions du droit de l'Union dont les juridictions nationales ont besoin pour trancher les recours pendants devant elles, même si ces dispositions ne sont pas expressément indiquées dans ces questions (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2015, Abcur, C-544/13 et C-545/13, EU :C:2015:481, points 33 et 34 et jurisprudence citée).
37 Toutefois, il appartient à la seule juridiction nationale de déterminer l'objet des questions qu'elle souhaite poser à la Cour. Ainsi, lorsque la demande elle-même ne fait pas apparaître la nécessité de reformuler ces questions, la Cour ne peut, à la demande de l'une des parties intéressées visées à l'article 23 du statut de la Cour de justice de l'Union européenne, examiner des questions qui ne lui ont pas été soumises par la juridiction nationale. Si, compte tenu des développements intervenus au cours de la procédure, la juridiction de renvoi devait estimer nécessaire d'obtenir des interprétations complémentaires du droit de l'Union, il lui appartiendrait de saisir à nouveau la Cour (voir, en ce sens, arrêt du 11 juin 2015, Berlington Hungary e.a., C-98/14, EU:C:2015:386, point 48 et jurisprudence citée).
38 En l'espèce, et en l'absence de toute mention des directives 2005/36 et 2007/64 dans les questions préjudicielles, voire de toute autre explication dans la décision de renvoi qui imposerait à la Cour de se pencher sur l'interprétation de ces directives afin de répondre utilement à la juridiction de renvoi, il n'y a pas lieu pour la Cour d'examiner les arguments relatifs à ces directives, ce qui aboutirait en réalité à modifier la substance des questions qui lui ont été posées.
La première question
39 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l'article 2, sous a), de la directive 2000/31 doit être interprété en ce sens qu'un service d'intermédiation qui, au moyen d'une plate-forme électronique, vise à mettre en relation, contre rémunération, des hôtes potentiels avec des hôtes professionnels ou non professionnels offrant des services d'hébergement de courte durée, tout en fournissant un certain nombre d'autres services, tels qu'un format pour présenter le contenu de leur offre, un service de photographie, une assurance de responsabilité civile et une garantie contre les dommages, un outil d'estimation du prix de location ou des services de paiement pour ces services d'hébergement, doit être qualifié de "service de la société de l'information" au sens de la directive 2000/31.
40 À titre liminaire, il convient de constater, tout d'abord - et cela n'est contesté par aucune des parties ni par les autres intéressés impliqués dans la présente procédure -, que l'activité d'intermédiation en cause au principal relève de la notion de "service" au sens de l'article 56 TFUE et de la directive 2006/123.
41 Ensuite, il convient néanmoins de rappeler que, en vertu de l'article 3, paragraphe 1, de la directive 2006/123, celle-ci ne s'applique pas si ses dispositions sont contraires à une disposition d'un autre acte de l'Union régissant des aspects particuliers de l'accès à une activité de service ou de son exercice dans des services ou pour des professions déterminés.
42 Par conséquent, afin de déterminer si un service tel que celui en cause au principal relève de la directive 2006/123, comme le soutiennent AHTOP et le gouvernement français, ou, au contraire, de la directive 2000/31, comme le soutiennent Airbnb Ireland, les gouvernements tchèque et luxembourgeois ainsi que la Commission, il convient de déterminer si un tel service doit être qualifié de "service de la société de l'information", au sens de l'article 2, sous a), de la directive 2000/31.
43 À cet égard, et compte tenu de la période couverte par les faits visés dans la plainte déposée par l'AHTOP et la procédure pénale avec constitution de partie civile accessoire pendante devant la juridiction de renvoi, la définition de la notion de "service de la société de l'information", au titre de l'article 2, sous a), de la directive 2000/31, a été successivement visée à l'article 1er, premier alinéa, point 2, de la directive 98/34, puis, à compter du 7 octobre 2015, à l'article 1er, paragraphe 1, sous b), de la directive 2015/1535. Cette définition n'a toutefois pas été modifiée lors de l'entrée en vigueur, le 7 octobre 2015, de la directive 2015/1535, raison pour laquelle seule cette directive sera mentionnée dans le présent arrêt.
44 En vertu de l'article 1er, paragraphe 1, point b), de la directive 2015/1535, la notion de " service de la société de l'information " couvre " tout service presté normalement contre rémunération, à distance, par voie électronique et à la demande individuelle d'un destinataire de services ".
45 En l'occurrence, la juridiction de renvoi relève, ainsi qu'il ressort du point 18 ci-dessus, que le service en cause au principal, au moyen d'une plate-forme électronique, vise à mettre en relation, contre rémunération, des hôtes potentiels avec des hôtes professionnels ou non professionnels offrant des services d'hébergement de courte durée afin de permettre à ces derniers de réserver un logement.
46 Il s'ensuit, tout d'abord, que ce service est fourni contre rémunération, même si la rémunération perçue par Airbnb Payments UK n'est perçue qu'auprès de l'hôte et non pas également auprès de ce dernier.
47 Ensuite, dans la mesure où l'hôte et l'invité sont mis en relation au moyen d'une plateforme électronique sans que le prestataire de services d'intermédiation, d'une part, ou l'hôte ou l'invité, d'autre part, soient présents en même temps, ce service constitue un service fourni par voie électronique et à distance. En effet, à aucun moment du processus de conclusion des contrats entre, d'une part, Airbnb Ireland ou Airbnb Payments UK et, d'autre part, l'hôte ou l'invité, les parties n'entrent en contact autrement que par le biais de la plateforme électronique d'Airbnb Ireland.
48 Enfin, le service en question est fourni à la demande individuelle des destinataires du service, puisqu'il implique à la fois la mise en ligne d'une annonce par l'hébergeur et une demande individuelle de l'invité intéressé par cette annonce.
49 Par conséquent, un tel service remplit les quatre conditions cumulatives énoncées à l'article 1er , paragraphe 1, sous b), de la directive 2015/1535 et constitue donc, en principe, un "service de la société de l'information" au sens de la directive 2000/31.
50 Toutefois, ainsi que le font valoir les parties et les autres intéressés impliqués dans la présente procédure, la Cour a jugé que, si un service d'intermédiation qui remplit l'ensemble de ces conditions constitue, en principe, un service distinct du service ultérieur auquel il se rattache et doit donc être qualifié de " service de la société de l'information ", tel ne saurait être le cas s'il apparaît que ce service d'intermédiation fait partie intégrante d'un service global dont l'élément principal est un service relevant d'une autre qualification juridique (voir, en ce sens, arrêt du 20 décembre 2017, Asociación Profesional Elite Taxi, C-434/15, EU :C:2017:981, point 40).
51 En l'espèce, l'AHTOP fait valoir, en substance, que le service fourni par Airbnb Ireland fait partie intégrante d'un service global, dont la composante principale est la fourniture d'un service d'hébergement. À cette fin, elle fait valoir qu'Airbnb Ireland ne se contente pas de mettre en relation deux parties par l'intermédiaire de sa plateforme électronique du même nom, mais qu'elle offre également des services supplémentaires qui sont caractéristiques d'une activité d'intermédiaire dans les transactions immobilières.
52 Toutefois, s'il est vrai que le service d'intermédiation fourni par Airbnb Ireland a pour objet de permettre la location de logements - et il est constant que cela relève de la directive 2006/123 -, la nature des liens entre ces services ne justifie pas de s'écarter de la qualification de ce service d'intermédiation en tant que "service de la société de l'information" et, partant, de l'application de la directive 2000/31 à son égard.
53 Un tel service d'intermédiation est indissociable de la transaction immobilière elle-même, en ce qu'il vise non seulement à fournir un service d'hébergement immédiat, mais également, sur la base d'une liste structurée des lieux d'hébergement disponibles sur la plateforme électronique du même nom et correspondant aux critères sélectionnés par les personnes à la recherche d'un hébergement de courte durée, à fournir un outil permettant de faciliter la conclusion de contrats portant sur des interactions futures. C'est la création d'une telle liste au profit tant des hôtes qui ont un logement à louer que des personnes qui recherchent ce type de logement qui constitue la caractéristique essentielle de la plateforme électronique gérée par Airbnb Ireland.
54 À cet égard, en raison de son importance, la compilation d'offres selon un format harmonisé, associée à des outils de recherche, de localisation et de comparaison de ces offres, constitue un service qui ne saurait être considéré comme un simple accessoire d'une prestation globale relevant d'une autre qualification juridique, à savoir la fourniture d'un service d'hébergement.
55 En outre, un service tel que celui fourni par Airbnb Ireland n'est nullement indispensable à la fourniture de services d'hébergement, tant du point de vue des hôtes que de celui des invités qui l'utilisent, dès lors que les uns et les autres disposent de plusieurs autres canaux, parfois anciens, tels que les agences immobilières, les petites annonces, sur support papier ou électronique, ou encore les sites Internet de location de biens immobiliers. À cet égard, la seule circonstance qu'Airbnb Ireland se trouve en concurrence directe avec ces autres canaux en fournissant à ses utilisateurs, tant hôtes qu'invités, un service innovant fondé sur les particularités de l'activité commerciale dans la société de l'information ne permet pas de déduire qu'il est indispensable à la fourniture d'un service d'hébergement.
56 Enfin, il ne ressort ni de la décision de renvoi ni des éléments du dossier soumis à la Cour qu'Airbnb Ireland fixe ou plafonne le montant des loyers pratiqués par les hôtes utilisant cette plateforme. Tout au plus, elle leur fournit un outil optionnel pour estimer leur prix de location au regard des moyennes du marché tirées de cette plateforme, en laissant la responsabilité de la fixation du loyer au seul hôte.
57 Ainsi, il s'ensuit qu'un service d'intermédiation tel que celui fourni par Airbnb Ireland ne saurait être considéré comme faisant partie intégrante d'un service global dont la composante principale est la fourniture d'un logement.
58 Aucun des autres services mentionnés au point 19 ci-dessus, pris ensemble ou isolément, ne remet en cause cette constatation. Au contraire, de tels services revêtent un caractère accessoire, dès lors que, pour les hôtes, ils ne constituent pas une fin en soi, mais plutôt un moyen de bénéficier du service d'intermédiation fourni par Airbnb Ireland ou d'offrir des services d'hébergement dans les meilleures conditions (voir, par analogie, arrêts du 21 février 2008, Part Service, C-425/06, EU :C:2008:108, point 52 ; du 10 novembre 2016, Baštová, C-432/15, EU:C:2016:855, point 71 ; et du 4 septembre 2019, KPC Herning, C-71/18, EU:C:2019:660, point 38).
59 En premier lieu, tel est le cas en ce qui concerne le fait que, outre son activité de mise en relation d'hôtes et d'invités par l'intermédiaire de la plateforme électronique du même nom, Airbnb Ireland fournit aux hôtes un format pour présenter le contenu de leur offre, un service optionnel de photographie du bien loué ainsi qu'un système d'évaluation des hôtes et des invités qui est à la disposition des futurs hôtes et invités.
60 Ces outils font partie du modèle de collaboration inhérent aux plateformes d'intermédiation, qui permet, d'une part, aux personnes à la recherche d'un logement de choisir en toute connaissance de cause parmi les offres de logement proposées par les hôtes sur la plateforme et, d'autre part, aux hôtes d'être pleinement informés de la fiabilité des hôtes avec lesquels ils sont susceptibles de s'engager.
61 Ensuite, tel est le cas en ce qui concerne le fait qu'Airbnb Payments UK, une société du groupe Airbnb, est chargée de collecter les loyers auprès des hôtes et de transférer ensuite ces loyers aux hôtes, conformément aux conditions énoncées au point 19 ci-dessus.
62 De telles conditions de paiement, communes à un grand nombre de plateformes électroniques, constituent un outil de sécurisation des transactions entre hôtes et invités, et leur seule présence ne saurait modifier la nature du service d'intermédiation, en particulier lorsque de telles conditions de paiement ne sont pas accompagnées, directement ou indirectement, d'un contrôle des prix de la prestation d'hébergement, ainsi qu'il a été relevé au point 56 ci-dessus.
63 Enfin, le fait qu'Airbnb Ireland offre aux hôtes une garantie contre les dommages et, en option, une assurance de responsabilité civile n'est pas non plus de nature à modifier la qualification juridique du service d'intermédiation fourni par cette plateforme.
64 Même pris dans leur ensemble, les services, optionnels ou non, fournis par Airbnb Ireland et visés aux points 59 à 63 ci-dessus, ne remettent pas en cause le caractère distinct du service d'intermédiation fourni par cette société et, partant, sa qualification de "service de la société de l'information", dès lors qu'ils ne modifient pas substantiellement les caractéristiques spécifiques de ce service. À cet égard, il est également paradoxal que de tels services auxiliaires à valeur ajoutée fournis par une plate-forme électronique à ses clients, notamment pour se distinguer de ses concurrents, puissent, en l'absence d'éléments supplémentaires, conduire à modifier la nature et, partant, la qualification juridique de l'activité de cette plate-forme, ainsi que l'a relevé M. l'avocat général au point 46 de ses conclusions.
65 Par ailleurs, et contrairement à ce que soutiennent l'AHTOP et le gouvernement français, les règles de fonctionnement d'un service d'intermédiation tel que celui fourni par Airbnb ne sauraient être assimilées à celles du service d'intermédiation ayant donné lieu aux arrêts du 20 décembre 2017, Asociación Profesional Elite Taxi (C-434/15, EU:C:2017:981, point 39), et du 10 avril 2018, Uber France (C-320/16, EU:C:2018:221, point 21).
66 Outre le fait que ces arrêts ont été rendus dans le contexte spécifique du transport urbain de voyageurs auquel s'applique l'article 58, paragraphe 1, TFUE et que les services fournis par Airbnb Ireland ne sont pas comparables à ceux qui étaient en cause dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts mentionnés au point précédent, les services auxiliaires visés aux points 59 à 63 ci-dessus n'apportent pas la preuve du même niveau de contrôle que celui constaté par la Cour dans ces arrêts.
67 Ainsi, la Cour a précisé, dans ces arrêts, qu'Uber exerçait une influence déterminante sur les conditions dans lesquelles les services de transport étaient fournis par les chauffeurs non professionnels au moyen de l'application mise à leur disposition par cette société (arrêts du 20 décembre 2017, Asociación Profesional Elite Taxi, C-434/15, EU:C:2017:981, point 39, et du 10 avril 2018, Uber France, C-320/16, EU:C:2018:221, point 21).
68 Les éléments mentionnés par la juridiction de renvoi et rappelés au point 19 ci-dessus n'établissent pas qu'Airbnb Ireland exerce une influence aussi déterminante sur les conditions de fourniture des services d'hébergement sur lesquels porte son service d'intermédiation, d'autant plus qu'Airbnb Ireland ne détermine pas, directement ou indirectement, le prix de location pratiqué, ainsi qu'il a été établi aux points 56 et 62 ci-dessus, et qu'elle sélectionne encore moins les hôtes ou les logements mis en location sur sa plateforme.
69 Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la première question que l'article 2, sous a), de la directive 2000/31, qui renvoie à l'article 1er, paragraphe 1, sous b), de la directive 2015/1535, doit être interprété en ce sens qu'un service d'intermédiation qui, au moyen d'une plateforme électronique, vise à mettre en relation, contre rémunération, des hôtes potentiels avec des hôtes professionnels ou non professionnels offrant des services d'hébergement de courte durée, tout en fournissant également un certain nombre de services accessoires à ce service d'intermédiation, doit être qualifié de "service de la société de l'information" au sens de la directive 2000/31.
La deuxième question
Compétence
70 Le gouvernement français soutient que la Cour est manifestement incompétente pour répondre à la seconde question, dans la mesure où la juridiction de renvoi demande à la Cour de décider si les activités d'Airbnb Ireland relèvent du champ d'application matériel de la loi Hoguet et donc d'interpréter le droit français.
71 Il ressort toutefois clairement du libellé de la seconde question que la juridiction de renvoi ne demande pas ainsi à la Cour si la loi Hoguet s'applique aux activités d'Airbnb Ireland, mais si cette loi, qu'elle juge restrictive de la libre prestation des services de la société de l'information, est opposable à cette société.
72 Cette question, qui est étroitement liée à la faculté donnée par l'article 3, paragraphe 4, sous a), de la directive 2000/31 aux États membres de déroger au principe de la libre prestation des services de la société de l'information ainsi qu'à l'obligation pour ces États membres de notifier à la Commission et à l'État membre concerné les mesures portant atteinte à ce principe, telle que prévue à l'article 3, paragraphe 4, sous b), de cette directive, est une question d'interprétation du droit de l'Union.
73 La Cour est donc compétente pour répondre à cette question.
Recevabilité
74 À titre subsidiaire, le gouvernement français fait valoir que, dès lors que la juridiction de renvoi n'a pas établi que les activités d'Airbnb Ireland relèvent du champ d'application matériel de la loi Hoguet, sa seconde question n'expose pas les raisons pour lesquelles elle est incertaine quant à l'interprétation de la directive 2000/31 et n'identifie pas le lien que cette juridiction établit entre cette directive et la loi Hoguet. Elle ne satisfait donc pas aux exigences de l'article 94 du règlement de procédure de la Cour de justice et est, par conséquent, irrecevable.
75 À cet égard, ainsi qu'il a été exposé au point 30 ci-dessus, il ressort de la seconde question que, selon la juridiction de renvoi, le service d'intermédiation fourni par Airbnb Ireland par l'intermédiaire de la plateforme électronique du même nom relève du champ d'application matériel de cette loi.
76 En outre, en se référant au caractère restrictif de cette loi à l'égard de services tels que le service d'intermédiation en cause au principal et au principe de la libre prestation des services de la société de l'information, reconnu aux articles 1er et 3 de la directive 2000/31, tout en exposant les difficultés d'interprétation de cette directive au regard de la question de l'opposabilité à Airbnb Ireland d'une réglementation nationale telle que la loi Hoguet, la juridiction de renvoi satisfait aux exigences minimales prévues à l'article 94 du règlement de procédure.
77 Par conséquent, la deuxième question est recevable.
Substance
78 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande à la Cour si la réglementation en cause au principal est opposable à Airbnb Ireland.
79 Cette question est motivée par l'argument avancé par Airbnb Ireland concernant l'incompatibilité des dispositions de la loi Hoguet en cause au principal avec la directive 2000/31 et, plus particulièrement, par le fait que la République française n'a pas satisfait aux conditions prévues à l'article 3, paragraphe 4, de cette directive permettant aux États membres d'adopter des mesures restreignant la libre prestation des services de la société de l'information.
80 La seconde question doit donc être interprétée en ce sens que l'article 3, paragraphe 4, de la directive 2000/31 doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d'une procédure pénale assortie d'une action civile accessoire, un particulier peut s'opposer à l'application à son égard de mesures d'un État membre restreignant la libre prestation d'un service de la société de l'information que ce particulier fournit à partir d'un autre État membre, lorsque ces mesures ne remplissent pas l'ensemble des conditions prévues par cette disposition.
81 À titre liminaire, il convient de relever que la réglementation en cause au principal, ainsi que le souligne la juridiction de renvoi, est restrictive de la libre prestation des services de la société de l'information.
82 D'une part, les exigences de la loi Hoguet mentionnées par la juridiction de renvoi, principalement l'obligation de détenir une carte professionnelle, concernent l'accès à l'activité de mise en relation d'hôtes disposant de lieux d'hébergement et de personnes recherchant ce type d'hébergement au sens de l'article 2, sous h), i), de la directive 2000/31 et ne relèvent d'aucune des catégories exclues visées à l'article 2, sous h), ii), de cette directive. D'autre part, elles s'appliquent notamment aux prestataires de services établis dans des États membres autres que la République française, rendant ainsi plus difficile la prestation de leurs services en France.
83 En vertu de l'article 3, paragraphe 4, de la directive 2000/31, les États membres peuvent, pour un service donné de la société de l'information relevant du domaine coordonné, prendre des mesures qui dérogent au principe de la libre prestation des services de la société de l'information, sous réserve de deux conditions cumulatives.
84 Tout d'abord, en vertu de l'article 3, paragraphe 4, sous a), de la directive 2000/31, la mesure restrictive concernée doit être nécessaire dans l'intérêt de l'ordre public, de la protection de la santé publique, de la sécurité publique ou de la protection des consommateurs ; elle doit être prise à l'encontre d'un service de la société de l'information qui porte effectivement atteinte à ces objectifs ou qui constitue un risque sérieux et grave pour ceux-ci et, enfin, elle doit être proportionnée à ces objectifs.
85 D'autre part, aux termes de l'article 3, paragraphe 4, sous b), second tiret, de cette directive, avant de prendre les mesures en question et sans préjudice des procédures juridictionnelles, y compris les procédures préliminaires et les actes accomplis dans le cadre d'une enquête pénale, l'État membre concerné notifie à la Commission et à l'État membre sur le territoire duquel le prestataire de services en cause est établi son intention d'adopter les mesures restrictives en question.
86 S'agissant de la seconde condition, le gouvernement français admet que la loi Hoguet n'a donné lieu à une notification par la République française ni à la Commission ni à l'État membre d'établissement d'Airbnb Ireland, à savoir l'Irlande.
87 Il y a lieu d'indiquer d'emblée que la circonstance que cette loi est antérieure à l'entrée en vigueur de la directive 2000/31 ne saurait avoir eu pour conséquence de libérer la République française de son obligation de notification. En effet, ainsi que l'a relevé M. l'avocat général au point 118 de ses conclusions, le législateur de l'Union n'a pas prévu de dérogation autorisant les États membres à maintenir des mesures antérieures à cette directive et susceptibles de restreindre la libre prestation des services de la société de l'information sans respecter les conditions prévues à cet effet par celle-ci.
88 Il convient donc de déterminer si le manquement d'un État membre à son obligation de notification préalable des mesures restreignant la libre prestation des services de la société de l'information en provenance d'un autre État membre, prévue à l'article 3, paragraphe 4, sous b), second tiret, de la directive 2000/31, rend la législation concernée inopposable aux particuliers, de la même manière que le manquement d'un État membre à son obligation de notification préalable des règles techniques, prévue à l'article 5, paragraphe 1, de la directive 2015/1535, a cette conséquence (voir, en ce sens, arrêt du 30 avril 1996, CIA Security International, C-194/94, EU :C:1996:172, point 54).
89 À cet égard, il convient, tout d'abord, de rappeler que l'article 3, paragraphe 4, sous b), deuxième tiret, de la directive 2000/31 impose une obligation spécifique aux États membres de notifier à la Commission et à l'État membre sur le territoire duquel le prestataire en cause est établi leur intention d'adopter des mesures restreignant la libre prestation des services de la société de l'information.
90 Du point de vue de son contenu, l'obligation prévue à cette disposition est donc suffisamment claire, précise et inconditionnelle pour lui conférer un effet direct et, partant, elle peut être invoquée par les particuliers devant les juridictions nationales (voir, par analogie, arrêt du 30 avril 1996, CIA Security International, C-194/94, EU:C:1996:172, point 44).
91 En second lieu, il est constant que, ainsi qu'il ressort de l'article 3, paragraphe 2, de la directive 2000/31, lu en combinaison avec le considérant 8 de celle-ci, l'objectif de cette directive est d'assurer la libre prestation des services de la société de l'information entre les États membres. Cet objectif est poursuivi au moyen d'un mécanisme de contrôle des mesures susceptibles d'y porter atteinte, qui permet tant à la Commission qu'à l'État membre sur le territoire duquel le prestataire en cause est établi de s'assurer que ces mesures sont nécessaires pour des raisons impérieuses d'intérêt général.
92 En outre, et ainsi qu'il ressort de l'article 3, paragraphe 6, de cette directive, la Commission, qui est chargée d'examiner sans délai la compatibilité avec le droit de l'Union des mesures notifiées, est tenue, lorsqu'elle parvient à la conclusion que les mesures envisagées sont incompatibles avec le droit de l'Union, de demander à l'État membre concerné de s'abstenir d'adopter ces mesures ou de mettre fin d'urgence aux mesures en cause. Ainsi, dans le cadre de cette procédure, la Commission peut éviter l'adoption ou, à tout le moins, le maintien d'entraves aux échanges contraires au TFUE, notamment en proposant des modifications à apporter aux mesures nationales concernées (voir, par analogie, arrêt du 30 avril 1996, CIA Security International, C-194/94, EU:C:1996:172, point 41).
93 Certes, ainsi que le soutient notamment le gouvernement espagnol et ainsi qu'il ressort de l'article 3, paragraphe 6, de la directive 2000/31, l'article 3, paragraphe 4, sous b), second tiret, de cette directive, à la différence de l'article 5, paragraphe 1, de la directive 2015/1535, n'impose formellement aucune obligation de statu quo à un État membre qui entend adopter une mesure restreignant la libre prestation d'un service de la société de l'information. Toutefois, ainsi qu'il a été rappelé au point 89 ci-dessus, sauf en cas d'urgence dûment justifiée, l'État membre concerné doit notifier préalablement à la Commission et à l'État membre sur le territoire duquel le prestataire de services en cause est établi son intention d'adopter une telle mesure.
94 Compte tenu des éléments évoqués aux points 89 à 92 ci-dessus, l'obligation de notification préalable instaurée par l'article 3, paragraphe 4, sous b), second tiret, de la directive 2000/31 n'est pas une simple obligation d'information, comparable à celle en cause dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 13 juillet 1989, Enichem Base e.a. (380/87, EU :C:1989:318, points 19 à 24), mais une exigence procédurale essentielle qui justifie l'inopposabilité aux particuliers des mesures non notifiées restreignant la libre prestation d'un service de la société de l'information (voir, par analogie, arrêt du 30 avril 1996, CIA Security International, C-194/94, EU:C:1996:172, points 49 et 50).
95 En troisième lieu, l'extension à la directive 2000/31 de la solution adoptée par la Cour dans l'arrêt du 30 avril 1996, CIA Security International (C-194/94, EU:C:1996 :172), à propos de la directive 2015/1535, est d'autant plus justifiée, ainsi que l'a relevé à juste titre la Commission lors de l'audience, par le fait que l'obligation de notification prévue à l'article 3, paragraphe 4, sous b), second tiret, de la directive 2000/31, à l'instar de la mesure en cause dans l'affaire ayant donné lieu à cet arrêt, n'a pas pour objet d'empêcher un État membre d'adopter des mesures d'exécution, ne vise pas à empêcher un État membre d'adopter des mesures relevant de sa propre compétence et susceptibles d'affecter la libre prestation des services, mais à empêcher un État membre d'empiéter, par principe, sur la compétence de l'État membre où est établi le prestataire du service de la société de l'information concerné.
96 Il résulte de ce qui précède que le manquement d'un État membre à son obligation de notification d'une mesure restreignant la libre prestation d'un service de la société de l'information fourni par un opérateur établi sur le territoire d'un autre État membre, prévue à l'article 3, paragraphe 4, sous b), second tiret, de la directive 2000/31, rend cette mesure inopposable aux particuliers (voir, par analogie, arrêt du 30 avril 1996, CIA Security International, C-194/94, EU:C:1996:172, point 54).
97 À cet égard, il convient également de relever que, comme cela a été le cas pour les règles techniques dont l'État membre n'a pas procédé à la notification conformément à l'article 5, paragraphe 1, de la directive 2015/1535, l'inopposabilité d'une mesure non notifiée restreignant la libre prestation des services de la société de l'information peut être invoquée, non seulement dans le cadre d'une procédure pénale (voir, par analogie, arrêt du 4 février 2016, Ince, C-336/14, EU :C:2016:72, point 84), mais également dans un litige entre particuliers (voir, par analogie, arrêt du 27 octobre 2016, James Elliott Construction, C-613/14, EU:C:2016:821, point 64 et jurisprudence citée).
98 Ainsi, dans le cadre d'une procédure telle que celle en cause au principal, dans laquelle, au cours d'une action devant une juridiction pénale, un particulier cherche à obtenir d'un autre particulier la réparation d'un préjudice trouvant son origine dans l'infraction poursuivie, le manquement d'un État membre à son obligation de notification de cette infraction au titre de l'article 3, paragraphe 4, sous b), second tiret, de la directive 2000/31 rend la disposition nationale prévoyant cette infraction inopposable à la personne poursuivie et permet à celle-ci d'invoquer ce manquement, non seulement dans le cadre de la procédure pénale engagée contre cette personne, mais également dans le cadre de la demande de dommages et intérêts introduite par la personne qui s'est constituée partie civile.
99 Compte tenu du fait que la République française n'a pas notifié la loi Hoguet et du caractère cumulatif des conditions prévues à l'article 3, paragraphe 4, de la directive 2000/31, rappelées aux points 84 et 85 ci-dessus, il y a lieu de considérer que cette loi ne peut, à aucun titre, être appliquée à un particulier se trouvant dans une situation telle que celle d'Airbnb Ireland dans l'affaire au principal, indépendamment de la question de savoir si cette loi remplit les autres conditions prévues à cette disposition.
100 Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la seconde question que l'article 3, paragraphe 4, sous b), second tiret, de la directive 2000/31 doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d'une procédure pénale assortie d'une action civile accessoire, un particulier peut s'opposer à l'application à son égard de mesures d'un État membre restreignant la libre prestation d'un service de la société de l'information que ce particulier fournit à partir d'un autre État membre, lorsque ces mesures n'ont pas été notifiées conformément à cette disposition.
Coûts
101 La présente procédure constituant, pour les parties au principal, une étape dans le recours pendant devant la juridiction de renvoi, la décision sur les dépens relève de la compétence de cette juridiction. Les frais exposés pour présenter des observations à la Cour, autres que les frais de ces parties, ne sont pas récupérables.
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) statue :
- L'article 2, sous a), de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur ("directive sur le commerce électronique"), qui renvoie à l'article 1er , paragraphe 1, sous b), de la directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil, du 9 septembre 2015, prévoyant une procédure d'information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l'information, doit être interprété en ce sens qu'un service d'intermédiation qui, au moyen d'une plateforme électronique, vise à mettre en relation, contre rémunération, des hôtes potentiels avec des hôtes professionnels ou non professionnels proposant des hébergements de courte durée, tout en fournissant un certain nombre de services accessoires à ce service d'intermédiation, doit être qualifié de "service de la société de l'information" au sens de la directive 2000/31.
- L'article 3, paragraphe 4, sous b), deuxième tiret, de la directive 2000/31 doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d'une procédure pénale assortie d'une action civile accessoire, un particulier peut s'opposer à ce que lui soient appliquées des mesures d'un État membre restreignant la libre prestation d'un service de la société de l'information que ce particulier fournit à partir d'un autre État membre, lorsque ces mesures n'ont pas été notifiées conformément à cette disposition.